20 ans après l’invasion américaine de l’Irak, des victimes de tortures attendent réparation
Il y a plus de 20 ans l’armée américaine envahissait l’Irak. Selon l’ONG Human Rights Watch, 100.000 Irakiens ont été jetés en prison entre 2003 et 2009 et, malgré ses promesses, le gouvernement américain n’a apporté aucune compensation ou réparation à ceux ayant subi des tortures et d’autres abus à Abou Ghraib et dans d’autres prisons gérées par les États-Unis en Irak. Et pourtant aujourd’hui, leur vie quotidienne est toujours bouleversée par ce qu’ils ont vécu en prison.
L’ONG publie ce lundi un rapport sur cette prison d’Abou Ghraib, un centre de détention devenu le symbole des violations des droits humains en Irak par les Américains. Sur des photos qui ont fait le tour du monde, on voit des détenus humiliés, torturés, tabassés par des soldats.
Dans un rapport de 2004, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) mentionne que des agents des renseignements militaires lui déclarent que 70 à 90% des personnes détenues par la coalition en 2003 en Irak avaient été arrêtées par erreur.
Après quelques jours dans une base militaire et dans un lieu inconnu d’Irak, les forces américaines emmènent Taleb Al-Majli à Abou Ghraib. « C’est là que la torture a commencé. On nous a déshabillés. On se moquait constamment de nous tandis que nous avions les yeux bandés avec des capuchons sur la tête. Nous étions complètement impuissants. J’ai été torturé au moyen de chiens policiers, de bombes assourdissantes, de tirs à balles réelles et de lances à eau. »
Il raconte : « Ils ont tué deux de mes codétenus. Je n’oublierais jamais leurs tortures. L’humiliation quand ils nous entassaient nus… et cette femme irakienne qu’ils ont violée devant moi. Là-bas, j’ai tenté de me suicider. »
Taleb Al-Majli explique être un des hommes que l’on voit sur une photo prise à Abou Ghraib montrant un groupe de prisonniers nus et masqués, empilés les uns sur les autres pour former une pyramide humaine, devant deux militaires américains tout sourire. « Deux militaires américains, un homme et une femme, nous ont ordonné de nous déshabiller entièrement », témoigne Taleb Al-Majli.
« Puis ils nous ont entassés les uns sur les autres. J’en faisais partie. »
Un récit que HRW n’a pu vérifier entièrement, mais qui présente suffisamment de détails corroborants, comme une carte d’identité de prisonnier avec son nom complet, son numéro de détenu et le bloc de sa cellule.
Après 16 mois de supplices, Taleb Al-Majli est finalement relâché sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.
Mais les traumatismes physiques et psychologiques le rongent, il est sans le sou et avec sa famille, il sombre dans la pauvreté : « Je suis très en colère contre les États-Unis parce qu’ils ne se sont jamais excusés de ce qu’ils m’ont fait subir. Personne ne nous a indemnisés ou soutenus par moi et mes proches… »
Aucune des démarches de Taleb Al-Majli n’a reçu de suites : ni dédommagement ni excuses.
D’autres témoins, qui souhaitent rester anonymes, ont aussi raconté leur parcours comme prisonniers à HRW, ainsi qu’un ancien juge avocat américain qui était en poste à Bagdad en 2003, un ancien membre du Haut-Commissariat irakien aux droits humains et des représentants de trois organisations non gouvernementales travaillant sur la torture.
Comme Taleb Al-Majli, les milliers d’Irakiens innocents détenus par les Américains attendent toujours réparation 20 ans plus tard.
En 2004, une demande de pardon du président George W. Bush et des promesses de dédommagements du secrétaire d’Etat à la Défense Donald Rumsfeld restent sans suite.
« Vingt ans après, les Irakiens qui ont été torturés par des agents des États-Unis n’ont toujours aucun moyen clair de porter plainte ou de recevoir une forme de réparation ou de reconnaissance, quelle qu’elle soit, de la part du gouvernement américain », déclare Sarah Yager, directrice du bureau de Washington de Human Rights Watch.
« Les responsables américains ont indiqué qu’ils préféraient tourner la page de la torture, mais les effets à long terme des tortures constituent toujours une réalité quotidienne pour de nombreux Irakiens et pour leur famille. »
Plus de 500 plaintes déposées essentiellement en Irak mais aussi en Afghanistan sont restées lettre morte à une exception près : un versement de 1000 dollars à un plaignant pour avoir été illégalement détenu en Irak.
Des sanctions ont cependant été infligées à 97 militaires américains impliqués dans 38 affaires d’abus dans les centres de détention irakiens mais seulement onze d’entre eux ont été traduits en cour martiale, où ils ont été reconnus coupables de crimes tels que le manquement au devoir, les mauvais traitements et les coups et blessures aggravés.
Neuf de ces onze militaires ont purgé des peines de prison. Quatorze autres ont reçu des sanctions non judiciaires (par exemple une amende, une rétrogradation de rang, un blâme ou une démobilisation).
Human Rights Watch demande la mise en place d’un mécanisme pour que toutes les victimes de tortures perpétrées par les États-Unis en Irak, mais aussi en Afghanistan ou à Guantanamo puissent obtenir enfin justice.