L’Irak, nouveau terrain de chasse d’Israël contre l’Iran
Netanyahu a récemment affirmé que Téhéran n’a « d’immunité nulle part ».
Le conflit israélo-iranien passe de front en front. Ces dernières années très majoritairement concentré sur le terrain syrien – avec plusieurs « milliers » de frappes menées par l’aviation israélienne contre des cibles iraniennes sur place –, l’État hébreu cible désormais, officiellement, les supplétifs iraniens directement sur le sol irakien.
Selon des informations du New York Times (NYT), l’État hébreu a mené au moins une frappe aérienne jeudi sur le territoire irakien. Elle visait « un dépôt d’armes » qui, selon les responsables cités par le journal, « serait utilisé par l’Iran pour acheminer des armes en Syrie ». Cette frappe survient un mois après de précédents raids effectués sur le territoire irakien, les 19 et 28 juillet, qui avaient alors visé des cibles iraniennes et détruit des stocks de missiles sophistiqués dans des bases près de Bagdad, provoquant la mort de « conseillers militaires » iraniens. L’identité de l’assaillant n’avait alors pas été confirmée de manière officielle, mais plusieurs sources, notamment des diplomates occidentaux anonymes, ont affirmé que l’instigateur principal de ces raids était Israël.
La dernière opération en date se produit dans un contexte de tensions entre Washington et Téhéran sur de nombreux dossiers (notamment les problématiques autour de l’accord sur le nucléaire iranien et la politique régionale et balistique de l’Iran) et qui se sont accrues ces derniers mois, en particulier dans le Golfe.
Les analystes de la région estiment que la volonté d’Israël de pousser ses actions jusqu’en Irak est due à un changement de stratégie militaire de la part de Téhéran. Ce changement serait dû à l’augmentation de la fréquence – et de la réussite – des incursions israéliennes en Syrie qui aurait poussé Téhéran à conserver une partie de son armement en Irak. Les Iraniens semblaient penser que l’Irak était hors de portée d’une attaque de l’aviation israélienne. L’État hébreu a répondu en élargissant son périmètre d’action et en démontrant qu’il était capable de frapper aussi bien en Syrie qu’en Irak.
Deux hauts responsables américains ont déclaré au NYT qu’Israël avait mené « plusieurs frappes ces derniers jours » dans des entrepôts de munitions contre des groupes soutenus par l’Iran en Irak. La poursuite des opérations israéliennes en Irak pourrait toutefois avoir un impact sur les relations entre Bagdad et Washington.
Tiraillé entre ses relations stratégiques avec les États-Unis d’un côté et économiques avec la République islamique de l’autre, l’Irak s’efforce tant bien que mal de rester neutre dans le contexte d’aggravation des tensions entre les deux rivaux. Il joue un rôle « d’équilibriste » dans la guerre idéologique que Washington et Téhéran se livrent dans le pays, notamment à travers la personne du Premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi, soutenu à la fois par les États-Unis et l’Iran.
Les dirigeants irakiens ont déclaré à de nombreuses reprises qu’ils ne voulaient pas que l’Irak devienne un nouveau champ de bataille entre Washington et Téhéran, alors que le pays vient de sortir d’une longue guerre contre le groupe État islamique. « Le gouvernement irakien, et en particulier ses agences de sécurité et ses forces armées, prendront toutes les mesures nécessaires pour protéger l’Irak et son peuple et pour dissuader toute tentative de déstabilisation », a déclaré le conseiller à la Sécurité nationale irakien, Falih al-Fayadh, cité par le NYT en réponse aux attaques de jeudi. Mais en cas de poursuite des opérations israéliennes en Irak, la relation entre les États-Unis, grand allié de l’État hébreu, et Bagdad pourrait être compromise. Un haut responsable américain a déclaré au New York Times que les tensions exacerbées entre Washington et Bagdad pourraient conduire l’Irak à exiger que les États-Unis retirent leurs troupes du pays. Cela représenterait un revers stratégique de première importance pour les Américains qui utilisent leurs 5 000 soldats et leurs bases dans le pays pour surveiller les agissements de l’Iran.Le fait que le NYT, qui cite des responsables américains, révèle la responsabilité israélienne dans ces frappes laisse penser que Washington a voulu rendre l’opération publique, peut-être pour signaler son mécontentement à Israël. Washington n’a en effet pas intérêt à voir le terrain irakien se transformer en un champ de bataille israélo-iranien, alors que le pays est relativement resté à l’abri de l’escalade régionale liée au bras de fer américano-iranien.
Dans une interview accordée à la télévision israélienne en langue russe Channel 9, diffusée jeudi, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a laissé entendre qu’Israël pourrait mener si nécessaire des frappes contre des cibles iraniennes en Irak. « Bien sûr, j’ai laissé les forces de sécurité libres et leur ai ordonné de faire le nécessaire pour contrecarrer les plans de l’Iran », a-t-il affirmé, sans toutefois désigner directement l’Irak comme cible potentielle. Le chef du gouvernement israélien, interrogé lundi lors d’une visite à Kiev, en Ukraine, avait déjà précisé que « l’Iran n’a d’immunité nulle part ».
L’Iran a mobilisé ces derniers mois, de façon intensive, d’importants moyens militaires en Irak, et notamment un grand nombre de ses missiles balistiques dont certains peuvent atteindre Israël ou encore Riyad, la capitale saoudienne. Ils sont abrités dans des bases dirigées par les gardiens de la révolution (pasdaran).
Sur le terrain irakien, Téhéran peut également compter sur des milices paramilitaires qui lui sont fidèles, notamment le Hachd al-Chaabi (Unités de mobilisation populaire), qui a, ces dernières années, acquis un poids important dans le pays, tant sur la scène militaire que politique. Cela s’est vérifié avec son arrivée à la deuxième place lors des élections législatives de mai 2018. Ces milices sont, par ailleurs, l’une des armes de prédilection et un moyen de pression des Iraniens dans leur bras de fer avec les États-Unis. Ils l’ont déjà montré avec le tir d’une roquette depuis le Sud irakien (zone d’influence de l’Iran dans le pays) dans la région où se trouve l’ambassade américaine, la « zone verte », au début de l’escalade avec Washington, le 19 mai dernier.
Élie SAÏKALI – Liban