Erdogan ouvre la porte au nettoyage ethnique des Kurdes et au retour d’al-Qaida et Daech
L’agression turque lancée le 9 octobre contre les Unités de protection du peuple (YPG) des kurdes et les Forces démocratiques syriennes arabo-kurdes (FDS), a déjà entraîné la mort de plus de 150 personnes et l’exode de 200 000 civils, majoritairement kurdes. Derrière l’ordre de mission officiel, il s’agit surtout pour Erdogan de créer une « zone sûre » destinée à accueillir à terme les réfugiés syriens en Turquie.
Alors que le chef du Pentagone Mark Esper a annoncé ce dimanche le retrait de 1000 soldats américains du nord de la Syrie, selon la décision de Donald Trump, l’armée turque a annoncé avoir pris Tal Abyad et même Ras al-Aïn, bien que les forces kurdes continuent de défendre leurs positions. L’armée turque prétend avoir pris Sari Kani — ce qui est contesté par les FDS qui affirment que la bataille pour le contrôle de la ville fait toujours rage. Au total, les forces pro-turques se sont déjà emparées de 40 villages depuis mercredi. D’après l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, si l’on ajoute aux 40 civils tués depuis le début de l’assaut mercredi dernier les 90 combattants et combattantes kurdes déjà tuées dans les affrontements, les morts côté kurde s’élèvent déjà à plus de 130. Quant à l’Armée d’Ankara, elle a reconnu avoir perdu quatre combattants en Syrie et 18 civils tués par des roquettes kurdes tirées sur des villes frontalières turques. Cibles favorites des islamistes sunnites .
L’objectif du pouvoir d’Ankara est depuis le début de la crise syrienne d’installer dans cette future « zone de sécurité » du Nord-syrien une partie des 3,6 millions de réfugiés syriens accueillis en Turquie et dont la présence est de plus en plus mal supportée par la population turque et les électeurs mêmes d’Erdogan. Rappelons qu’entre 2016 et 2018, la Turquie d’Erdogan avait mené deux agression dans le Nord syrien. Le plan du président turc et de ses généraux a bien entendu également pour objectif de profiter de l’éradication des forces kurdes YPG/FDS et de l’exil de centaines de milliers de civils kurdes pour élargir sa « profondeur stratégique » dans le Nord de la Syrie, ex-colonie turque. Cette stratégie d’expansion correspond à une véritable vision irrédentiste néo-ottomane également palpable en Irak, à Chypre, dans les îles grecques de la mer Égée ou dans les Balkans, ou partout le néo-Sultan-Calife Erdogan affirme se sentir chez lui, là où régna la Sublime Porte. L’agression d’Ankara devait d’abord se concentrer sur une zone frontalière située entre les villes de Tal Abyad et Ras al-Aïn, distantes de 120 km. A terme, Erdogan compte contrôler une vaste bande au nord de la Syrie profonde de 32 km et allant de l’Euphrate (Ouest) jusqu’aux frontières de l’Irak. La stratégie et les « buts de guerre » d’Ankara en Syrie mêlent donc à la fois des mobiles ethno-nationalistes, sécuritaires, néo-impérialistes, économiques (pétrole) et même religieux, pour ne pas dire « panislamistes ».
Officiellement, Ankara assure ne pas combattre les Kurdes en tant que tels mais les « terroristes » du PKK et leurs branches syriennes PYD/YPG/YPJ. Fidèle à sa position annoncée depuis le début de la guerre civile syrienne, Recep Taiyyp Erdogan a assuré que son pays ne « permettra pas la création d’un Etat terroriste dans le nord de la Syrie ». Quant au président français, il a déclaré dimanche soir que l’agression turque en Syrie est « au cœur de nos préoccupations » et « qu’elle doit cesser », après avoir échangé (en vain) avec les présidents Trump et Erdogan. En guise de pression, Paris a annoncé « suspendre les exportations vers la Turquie de matériels de guerre susceptibles d’être employés » en Syrie. Quant à son homologue allemande, Angela Merkel, elle s’est également entretenue avec le président turc ce dimanche afin de lui faire part (en vain) de sa préoccupation face à « la menace de Daech encore très forte », annonçant elle aussi sa décision de suspendre ses ventes d’armements à la Turquie. La Suède, l’Italie et d’autres pays de l’UE ont eux aussi plus ou moins emboité le pas au tandem franco-allemand. C’est ainsi que le conseil des Affaires étrangères de l’Union européenne, qui se réunira cette semaine, le 14 octobre à Luxembourg, a fait figurer en bonne place dans son ordre du jour la coordination d’une « approche européenne en ce sens », laquelle risque d’être — comme d’habitude face au Sultan turc — divisée et peu offensive. Face aux pressions occidentales, atlantiques et françaises, le président turc Erdogan, loin de se laisser impressionner et uniquement décidé à plaire à ses électeurs islamistes, a d’ailleurs affirmé dans un discours à Istanbul que « rien ne stoppera [son] opération », ni les embargos, ni l’arrêt des ventes d’armes, ni l’annonce de Damas d’envoyer des troupes pour contrer l’agression turque. Selon nos informations, des positions kurdes où étaient postés également des forces spéciales américaines et françaises ont été visées par les bombardements de l’aviation turque. L’idée étant de faire partir les dernières forces occidentales afin d’avoir le champ libre, Erdogan sachant que ses partenaires de l’OTAN sont prêts à lui céder les Kurdes pourvu qu’il demeure dans le giron atlantiste et n’aille pas plus loin dans son flirt avec Moscou… Sans parler des questions des migrants et des terroristes relâchés des prisons kurdes… Erdogan connait bien sa capacité de nuisance couplée aux divisions inter-occidentales.
Déjà connue pour ses atrocités et maintes violations des droits de l’homme à Afrin, ville syrienne du Nord-Ouest de l’Euphrate sous le contrôle des milices pro-turques depuis mars 2018, la soi-disant « Armée Nationale syrienne », qui rassemble nombre de groupes rebelles islamistes aux méthodes n’ayant souvent rien à envier à Daech et Al-Nosra, sème la terreur aux côtés de l’Armée turque depuis mercredi dernier aux cris très souvent entendus et filmés de « Allahu Akbar! »…
« Allahu Akbar, filmez-moi, filmez-moi », crie un combattant en vidant le chargeur de son AK-47 dans le corps allongé d’un homme… Un autre apparaît avec un fusil de sniper et tire sur un autre homme. « Les cochons du parti kurde », crie un autre milicien islamiste arabe pro-turc , ceci en référence au principal parti politique du nord de la Syrie, le Parti de l’union démocratique. Ces vidéos dignes des terroristes de Daech font bien évidemment du tort à Ankara et démontrent que les alliés/supplétifs de la Turquie en Syrie enrôlés dans l' »Armée Nationale syrienne » ne sont pas des démocrates laïques… D’où la décision de l’état-major de l’ANS, samedi dernier — et dont une copie a été postée sur Twitter — d’interdire désormais aux combattants d’enregistrer tout événement violent sur le champ de bataille, toute torture ou traitement inhumain de prisonniers de guerre et de civils étant considéré comme un crime de guerre. Reste à savoir si l’armée turque parviendra à contrôler ces milices islamistes venues dans le Nord syrien après avoir été vaincues par les forces pro-Assad et qui ont commis des exactions dans nombre d’autres zones de Syrie, parfois aux côtés des terroristes de Daech ou Hayat Tahrir al Sham (Al-Qaïda/al-Nosra en Syrie).
Les Kurdes de Syrie ont annoncé dimanche un accord semblable avec Damas pour le déploiement de l’armée syrienne dans le nord du pays afin de s’opposer à l’avancée rapide des troupes turques et de leurs alliés arabo-islamistes. Pour justifier l’accord entre les Kurdes et Damas, le haut-commandant des FDS, Mazloum Abdi, a déclaré à Foreign Policy que le régime syrien et son allié russe avaient « fait des propositions qui pourraient sauver la vie de millions de personnes ». « Nous savons que nous devrons faire des compromis douloureux, mais entre les compromis et le génocide de notre peuple, nous choisirons la vie. » On sait aussi que peu avant l’agression turque, les Kurdes ont appelé la Russie à jouer un rôle de « garant » dans le processus de dialogue avec le régime qui a alors accepté « d’accueillir ses enfants égarés ».
Quant aux Européens, qui doivent faire face à une menace terroriste persistante, voire susceptible de croitre avec la libération, l’évasion ou le rapatriement de centaines de terroristes européens depuis 2018, il est temps qu’ils se soumettent à la loi majeure de la géostratégie et de la politique : choisir et définir l’ennemi principal, non pas en fonction de la morale des droits de l’homme, mais des intérêts de leurs peuples et Etats. Or cet ennemi est, dans cette région du monde, non pas les Etats séculiers dictatoriaux pro-russes comme l’Etat syrien aujourd’hui ou celui de Saddam Hussein hier, déstabilisés à tort, mais les forces de l’islamisme radical, qu’il s’agisse des terroristes de Daech et Al-Qaïda, dont le fief de Idlib doit être réduit, mais aussi des Etats qui les protègent, directement ou indirectement, à commencer par le Qatar — parrain des Frères musulmans et des terroristes somaliens, libyens ou syriens —, et la Turquie d’Erdogan, co-parrain des Frères musulmans, du Hamas terroriste palestinien et de très nombreux groupes terroristes agissant dans le Nord-Ouest syrien et lancés à l’assaut des Kurdes. La place d’un tel pays, la Turquie, qui par ailleurs est en train de violer la souveraineté de la Grèce (menaces sur les îles de Mer Égée et violations quotidiennes des espaces aériens et maritimes), puis de Chypre (affaire des bateaux militaires turcs qui empêchent les compagnies chypriotes et européennes de forer le gaz et le pétrole découvert au large de Chypre), n’a décidément pas sa place au sein de l’OTAN.