Les manifestations se poursuivent au Liban pour la troisième journée
Les manifestations se poursuivent au Liban pour la troisième journée , plusieurs milliers de Libanais protestent depuis jeudi contre l’incapacité de la classe politique à juguler la crise économique, le pays traversant l’une des pires phases de récession de ces trente dernières années.
Soulèvement sans précédent depuis près de dix ans, au pays du Cèdre. Des dizaines de milliers de manifestants protestent depuis trois jours à travers tout le Liban pour demander la démission du gouvernement. Routes bloquées, barricades de pneus en flammes… Les protestataires, qui n’épargnent aucun camp, se révoltent contre une élite politique qu’ils accusent d’avoir pillé le pays, alors que le Liban se rapproche de l’effondrement économique.
Conséquence principale d’une « mauvaise gestion du gouvernement », selon Sami Nader, directeur du groupe de réflexion Levant Institute for Strategic Affaires, interrogé par l’AFP, les manifestations sont une accumulation de griefs, en tête desquels se trouvent l’affaiblissement du pouvoir d’achat et l’augmentation des taxes.
À travers le Liban, la tension monte depuis plusieurs mois, déjà. En juillet dernier, un budget d’austérité a été voté, accompagné de réformes visant à éponger la dette abyssale qui ronge le pays, dont l’économie se dégrade depuis des années. Aujourd’hui troisième dette mondiale derrière le Japon et la Grèce, la dette publique libanaise culmine à plus de 86 milliards d’euros, soit 151 % du PIB selon le FMI. À titre de comparaison, c’est plus encore que la situation dans laquelle se trouvait l’économie grecque en 2010 (146,2 %, selon Eurostat).
Inflation, corruption, pénurie de dollars dans une économie reposant principalement sur le billet vert… Le Liban, qui souffre également des répercussions économiques de la guerre en Syrie voisine, est entré dans une phase de récession parmi les pires de ces 30 dernières années.
Il aura suffi d’une annonce pour mettre le feu aux poudres. Jeudi 17 octobre, le ministre libanais des Télécoms, Mohamed Choucair, annonce une nouvelle taxe sur les appels passés via les applications WhatsApp et Viber. À hauteur de 20 centimes de dollar (18 centimes d’euro), cette taxe permettrait, selon lui, de rapporter 200 millions de dollars par an à l’État. La mesure provoque l’ire des Libanais, au sein desquels enfle depuis plusieurs mois un mécontentement face à l’inflation et au coût de la vie. Dans ce pays où le prix de la téléphonie mobile est parmi les plus élevés, la taxe WhatsApp est vécue comme la mesure de trop. Face à l’explosion de colère qu’elle suscite, Mohamed Choucair n’a d’autre choix que de faire marche arrière. Censée entrer en vigueur le 1er janvier 2020, la taxe WhatsApp n’aura finalement pas lieu. Elle demeure toutefois le symbole de ces impôts dégainés par le gouvernement pour stopper la spirale infernale du déficit budgétaire.
Dans la capitale libanaise, Zeina Antonios, correspondante pour France 24, évoque samedi la « récupération politique » dont fait déjà l’objet ce mouvement citoyen. « Les formations politiques ont commencé avec des discours disant : ‘Nous sentons votre souffrance, nous n’avons jamais été pour plus de taxes’. »
Depuis sa constitution, l’exécutif libanais s’est pourtant lancé dans une politique de réduction des dépenses publiques et d’augmentation des recettes de l’État, intensifiant les impôts et diminuant les aides sociales auxquelles peut prétendre la population.
Près de 30 ans après la fin de la guerre civile (1975-1990), le Liban, miné par les crises politiques à répétition, est toujours en proie à une pénurie chronique d’électricité et d’eau potable.
« Je veux de l’électricité, je veux que les rues soient éclairées », explique à l’AFP Dima Hassan, qui manifeste dans une région du sud dominée par le mouvement armé chiite Hezbollah. « Je ne veux plus entendre le bruit des générateurs » qui fournissent du courant à des prix exorbitants lorsque l’électricité publique est coupée, poursuit-elle.
Face au déficit de l’Électricité du Liban, l’État a par ailleurs promis d’interrompre sa subvention au secteur dès 2020, explique le quotidien libanais L’Orient-Le Jour. Une interruption qui occasionnera des majorations de l’ordre de 180 % sur les factures d’électricité des citoyens.
Le service public, c’est l’eau, l’électricité, mais aussi le traitement des déchets, un leitmotiv dans l’histoire des revendications populaires au Liban.
En 2015, une série de manifestations a mobilisé plusieurs dizaines de milliers de Libanais protestant contre l’échec du gouvernement à traiter les ordures accumulées après la fermeture de la plus grande déchèterie du pays. Au Liban, où il n’existe que deux décharges, la crise des ordures n’a jamais cessé depuis. Les manifestations qui ont lieu actuellement dans l’ensemble du pays s’inscrivent dans la continuité de celle-ci, cristallisant de nouveau les revendications de la population contre les dysfonctionnements de l’État, la corruption endémique et la paralysie des institutions politiques.
Au pied du mur, vendredi 18 octobre, alors que la foule se faisait de plus en plus dense sur l’emblématique place Riad El-Solh qui jouxte le siège du gouvernement, le Premier ministre a pris la parole dans une allocution télévisée. Celui-ci a alors annoncé donner 72 heures au gouvernement pour soutenir ses réformes économiques.
De son côté, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a indiqué que son mouvement ne soutenait pas l’idée d’une démission du gouvernement, et a appelé chacun « à prendre ses responsabilités ».
« Si nous ne travaillons pas à une solution, nous nous dirigerons vers un effondrement du pays », a-t-il prévenu, mettant en garde contre une potentielle « faillite », qui mènera à une dévaluation de la livre libanaise. « Le second danger, c’est une explosion populaire qui résulterait de notre mauvaise gestion de la situation », a-t-il conclu.
Aux infrastructures en déliquescence et à la corruption endémique (en 2018, le Liban occupait la 138e place sur 180 du classement des pays les plus corrompus, selon l’organisme Transparency International, NDLR) viennent s’ajouter les répercussions économiques de la guerre en Syrie voisine.