Le président tunisien face à la complexité de la question palestinienne à l’ONU
Le président tunisien Kais Saied, novice qui avait exalté la défense de la cause palestinienne lors de son élection, s’est retrouvé confronté à la complexité du dossier à l’ONU, multipliant les signaux contradictoires face aux exigences de la realpolitik et de son opinion publique.
Elu à une très large majorité en octobre, cet universitaire n’avait pas hésité à arborer le drapeau palestinien le soir de sa victoire, dans un pays qui a abrité durant de longues années (1982-94) le siège de l’Organisation de la libération de la Palestine (OLP).
Il a également fustigé « l’injustice du siècle » et une « haute trahison » après la présentation par le président américain Donald Trump, le 28 janvier, d’un plan pour le Moyen-Orient faisant droit aux exigences israélienne. Ce projet a été dénoncé par des manifestants à Tunis et à Sfax (est).
Mais la Tunisie, seul pays arabe représenté – en tant que membre non-permanent – au Conseil de sécurité des Nations unies, a semé la confusion en désavouant la semaine dernière son ambassadeur après que celui-ci a porté un projet de résolution dénonçant le plan américain.
« La manière dont ce limogeage a été mené pose beaucoup de questions sur la stratégie diplomatique de la présidence. On se demande si cela a été réfléchi », affirme le politologue Youssef Cherif.
Représentant de la Tunisie à l’ONU, Moncef Baati, considéré comme un diplomate chevronné, a été limogé le 7 février après avoir fait circuler le projet de résolution.
A la tribune de l’ONU, le président palestinien Mahmoud Abbas a rejeté mardi solennellement ce plan qui ferait, selon lui, d’un Etat palestinien un « gruyère », évoquant un « apartheid ».
Mais les Palestiniens ont finalement renoncé à demander dans l’immédiat au Conseil de sécurité le vote d’une résolution en ce sens, faute d’appuis internationaux suffisants dans ce bras de fer avec Washington.
La présidence tunisienne a assuré n’avoir « cédé ni aux marchandages, ni aux pressions », et Tunis a expliqué que son ambassadeur avait été sanctionné en raison d’un « manque de concertation » avec son gouvernement et avec les autres pays arabes, dont peu ont ouvertement critiqué le plan.
Le projet de résolution a été présenté de façon à ce qu’il « ne passe pas » au Conseil de sécurité, a souligné la présidence, qui a accusé M. Baati d’avoir cherché à « ternir l’image de la Tunisie et de son président ».
Ce cinglant désaveu, loin des usages feutrés du milieu, affaiblit selon les observateurs la position de la Tunisie sur la scène internationale.
« Ce dossier laisse craindre un éventuel dérapage de la diplomatie tunisienne », a écrit le quotidien arabophone El Chourouk mercredi. Il « décrédibilise toute la diplomatie » du pays, renchérit l’ex-ambassadeur Ezzedine Zayani.
Politicien néophyte, le président tunisien , un universitaire spécialisé en droit constitutionnel, a ainsi subi de plein fouet un baptême du feu international qu’il s’était efforcé de retarder au maximum.
Mettant jusqu’à présent l’accent sur les questions économiques et sociales, qui ne relèvent pas directement de ses prérogatives, le nouveau chef d’Etat s’est contenté à ce jour d’un unique déplacement à l’étranger, en Algérie voisine.
Il a rejeté une invitation « tardive » à une rencontre sur la Libye en Allemagne, et déclaré être malade lors du 33e sommet de l’Union africaine à Addis Abeba le week-end dernier.
Dans ce contexte, la Tunisie arbore une peu lisible « diplomatie à deux têtes », relève le quotidien francophone Le Temps, rappelant que le président du Parlement, le chef de file du parti à référentiel islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, multipliait de son côté les rencontres avec des dirigeants étrangers et les déplacements chez des partenaires importants.
Pour M. Cherif, le limogeage de l’ambassadeur tunisien à l’ONU s’inscrit aussi dans une « politique de Kais Saied de changer les hommes » nommés avant son arrivée au pouvoir.
Le rappel subit de Moncef Baati n’est cependant pas apparu très planifié, relève-t-il: il a fallu quelques jours pour qu’il soit remplacé, et c’est son adjoint Tarek el Adab qui a finalement été chargé de représenter la Tunisie.
De même, le président tunisien n’a toujours pas nommé de successeur définitif au ministre des Affaires étrangères Khemaies Jhinaoui, qu’il a limogé peu après son accession au pouvoir.
« La Tunisie n’a pas de nouveau gouvernement, pas de ministre des Affaires étrangères, si on commence à limoger des ambassadeurs clés cela ajoute au vide », déplore Youssef Cherif.