Erdogan décide de renvoyer un million de réfugiés syriens dans leur pays
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré préparer le rapatriement « volontaire » d’un million de syriens d’entre eux en Syrie. Une décision annoncée dans un message vidéo diffusé devant plusieurs centaines de réfugiés rentrés dans le nord-ouest du pays, alors qu’ils récupéraient les clés de maisonnettes construites pour faciliter leur retour.
Le président turc semble durcir sa politique envers les Syriens présents en Turquie dans la perspective des élections générales prévues l’année prochaine, accentuant un tournant amorcé depuis quelques années déjà.
À l’approche des élections générales prévues pour juin 2023, le chef de l’État cherche à regagner en popularité, notamment face à la montée d’un sentiment antisyrien dans le pays, étroitement lié à la crise économique que traverse la Turquie.
Face à une inflation annuelle censée avoir atteint 68 % en avril, combinée à la dépréciation de la monnaie nationale qui s’échange désormais à près de 15 livres pour un dollar – son pire taux depuis décembre dernier –, de nombreux Turcs attribuent les effets de la crise économique à la présence de réfugiés sur leur sol. Avec environ quatre millions de réfugiés, dont plus de 92 % de Syriens, le pays compte le plus grand nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile au monde, qui bénéficient pour certains d’aides sociales et financières.
Leur nombre croissant était relativement toléré par la société, mais les tendances économiques négatives, en particulier, ont déclenché un discours anti-immigration, souligne Didem İşçi Kuru, assistante de recherche à l’Université des sciences sociales d’Ankara (ASBÜ). Une campagne de dénigrement avait ainsi inondé les réseaux sociaux en novembre dernier suite à une altercation filmée entre un citoyen turc et une étudiante syrienne accusée de pouvoir acheter des bananes au kilo, tandis que la denrée était devenue trop chère pour les Turcs eux-mêmes.
Dans cette même lignée, le président turc semble vouloir laisser derrière lui le discours de la solidarité sunnite envers les « frères » syriens, accentuant un tournant entamé progressivement depuis la perte des municipalités d’Istanbul et d’Ankara au profit de l’opposition en 2019. « À partir de là, nous avons commencé à entendre un nouveau discours de l’AKP, qui voulait renvoyer les Syriens chez eux, tout en voulant au préalable leur assurer un retour dans les zones libérées, c’est-à-dire en dehors de celles contrôlées par le régime ou les milices kurdes.
Néanmoins, c’est dans le chiffre d’un million que le reïs turc a trouvé une manière de couper l’herbe sous le pied des mouvements concurrents à l’AKP. Sont visés notamment le principal parti d’opposition CHP à tendance sociale-démocrate et son chef Kemal Kilicdaroglu, ainsi que la formation nationaliste et laïque İyi Parti, qui utilisent un discours populiste et discriminatoire, mais également le nouveau parti nationaliste et anti-immigration Zafer (Victoire). Bien qu’elle ne soit pas encore représentée au Parlement, cette formation dispose d’une « forte influence pour orienter le débat sur les réseaux sociaux et diffuser des messages provocateurs sur les migrants », indique Didem İşçi Kuru. Le fondateur et chef du parti, Ümit Özdağ, qui a promis de renvoyer des millions de réfugiés s’il arrivait au pouvoir, a ainsi dénoncé les plans du gouvernement comme une « tactique pour contenir le sentiment anti-immigration à l’approche des élections », selon des propos rapportés par Bloomberg.
Selon le président Erdogan, environ 500 000 Syriens sont retournés depuis 2016 dans les « zones de sécurité » établies par Ankara de l’autre côté de sa frontière. Si Hay’at Tahrir al-Cham, ancienne branche d’el-Qaëda en Syrie, contrôle la majorité de la province d’Idleb, la Turquie soutient dans le nord-ouest du pays certains groupes islamistes.
Le projet concernant le retour d’un million de réfugiés devrait comporter notamment la construction dans ces zones de complexes résidentiels, d’écoles et d’hôpitaux, en coordination avec les conseils locaux de 13 régions du nord de la Syrie, principalement à Azaz, Jerablus, al-Bab, Tal Abyad et Ras al-Aïn.
Même si l’installation est prévue dans des zones qui ne sont pas sous le contrôle du régime, « la plupart des Syriens ne sont pas intéressés et ne souhaitent pas rentrer dans leur pays. Ils craignent tout d’abord que la Russie et les milices de Bachar el-Assad tentent d’attaquer ces zones dans le Nord. Et puis il n’y a pas d’opportunités de travail en Syrie.
par: Arab Observer