Accords du Touquet : Macron et May vont signer un nouveau traité





Emmanuel Macron se rend au Royaume-Uni, jeudi, pour un sommet franco-britannique avec la Première ministre Theresa May. Un nouveau traité complétant les accords du Touquet sera annoncé. Explications.

C’est ce qu’on appelle rentabiliser son voyage. En se rendant à l’Académie royale de Sandhurst pour un sommet franco-britannique avec la Première ministre Theresa May, jeudi 18 janvier, Emmanuel Macronsait qu’il aura le plaisir de sortir gagnant de ce rendez-vous en dévoilant les détails d’un nouveau traité allégeant les responsabilités françaises dans la gestion des migrants à Calais.

Les accords du Touquet vont en effet être complétés par un nouveau texte “juridiquement contraignant”, a annoncé mercredi l’Élysée. Concrètement, même si les détails ne sont pas encore connus, le Royaume-Uni acceptera désormais sur son territoire davantage de migrants, en particulier mineurs, et plus rapidement. Londres contribuera aussi davantage financièrement aux coûts directs et indirects que représente pour la France la gestion de cette frontière à Calais.
France 24 fait le point avant les annonces officielles d’Emmanuel Macron et de Theresa May.

Les accords du Touquet, qu’est-ce que c’est ?

Signé le 4 février 2003 par Paris et Londres et entré en vigueur le 1er février 2004, le traité du Touquet – son nom officiel – visait à contrer la montée en puissance du phénomène de l’immigration clandestine au Royaume-Uni en renforçant les contrôles au départ de la France.

Alors ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy avait présenté ces accords comme une victoire française. Il s’agit à l’époque de tourner la page du centre d’accueil de Sangatte, fermé quelques mois auparavant à la demande du Royaume-Uni. Le texte introduit notamment des bureaux de contrôle d’immigration communs, dits “juxtaposés”, dans les ports de la Manche et de la mer du Nord – Calais, Boulogne-sur-mer et Dunkerque côté français, Douvres côté britannique.
Mais de nombreux responsables politiques français ont depuis mis en cause ces accords, comme Xavier Bertrand, aujourd’hui président de la région Hauts-de-France, au moment des élections régionales fin 2015, l’ancien président Nicolas Sarkozy – pourtant à l’origine du traité – lors de la primaire du parti Les Républicains fin 2016 ou encore Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, durant la campagne du Brexit au printemps 2016.

Pourquoi tant de critiques ?

Si le traité semblait équilibré sur le papier en 2003, la pratique a révélé “un accord clairement déséquilibré”, selon François Gemenne, chercheur spécialiste des flux migratoires à l’université de Liège et à Sciences-Po Paris, contacté par France 24.

Personne n’avait visiblement anticipé, côté français, que les migrants seraient beaucoup plus nombreux à vouloir franchir la Manche pour s’installer au Royaume-Uni qu’à vouloir faire le chemin inverse. De fait, la France se retrouve contrainte de contrôler l’immigration clandestine vers son voisin, y compris aux abords du tunnel sous la Manche, faisant dire aux critiques que la frontière britannique s’est déplacée en France. Ces accords ont “conduit à faire de la France le ‘bras policier’ de la politique migratoire britannique”, avait ainsi dénoncé en juillet 2015 la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH).

Les conséquences pour la région de Calais ont aussi été économiques. L’afflux de migrants dans le Calaisis ces quinze dernières années a eu un impact négatif sur l’attractivité de ce territoire, qui a également souffert de nombreuses détériorations de ses infrastructures.

Qu’a obtenu la France ?

Face à ce déséquilibre dans l’application du traité du Touquet qui fait plutôt consensus, la France a obtenu tout ce qu’elle demandait ou presque, à en croire l’entourage d’Emmanuel Macron. Paris souhaitait tout d’abord un traitement plus rapide des procédures pour accueillir les migrants éligibles à une installation au Royaume-Uni. Londres s’engagera désormais à examiner “en quelques jours” les demandes d’asile, selon l’Élysée.

La France souhaitait aussi un accueil plus important des mineurs isolés, vulnérables ou pouvant bénéficier du regroupement familial. Sur les quelque 2 000 mineurs recensés lors de la fermeture de la “jungle” fin 2016, le Royaume-Uni s’était engagé à accueillir tous les enfants isolés ayant de la famille sur place et à étudier les dossiers des mineurs “vulnérables”. Mais au bout du compte, seuls 893 ont été acceptés par le Royaume-Uni. Et depuis un an, seuls huit mineurs sont passés.

Enfin, selon son entourage, Emmanuel Macron a demandé et obtenu une contribution financière supplémentaire “importante” du Royaume-Uni pour assurer la sécurisation des infrastructures à Calais d’une part, et le développement économique de Calais et sa région d’autre part. Le montant de cette contribution était encore en négociation mercredi, a précisé l’Élysée.

“Les demandes françaises étaient normales et même minimalistes au regard de la façon dont les accords du Touquet étaient appliqués d’une part, et du droit international d’autre part, explique François Gemenne. D’autant que certaines voix au Royaume-Uni, notamment chez les travaillistes, trouvent aussi que la situation est scandaleuse à Calais, en particulier en ce qui concerne les mineurs.”

Comment Emmanuel Macron a-t-il convaincu Theresa May ?

Alors que la Première ministre britannique est dans une position politique délicate sur le plan intérieur, la voir accepter les demandes françaises peut paraître étonnant. “Il y a encore quelques semaines, personne ne tablait sur l’idée qu’on aurait autre chose qu’une forme d’accord politique. Là, on a un accord politique qui se traduit juridiquement par un texte qui a une valeur de traité”, a même commenté mercredi un proche du président de la République, soulignant le fait que les négociations n’avaient duré qu’une dizaine de jours.
Emmanuel Macron a en réalité bénéficié du contexte lié au Brexit. “Plusieurs élus locaux l’ont dit : il est plus difficile, politiquement, de comprendre les mécanismes de solidarité vis-à-vis du Royaume-Uni dans un contexte où le Royaume-Uni quitte l’Union européenne”, explique l’Élysée.

“De fait, les moyens de pression de la France étaient relativement nombreux, explique François Gemenne. Il y avait d’abord la menace de dénoncer les accords du Touquet avec le risque que soit recréé une deuxième ‘jungle’, mais cette fois-ci de l’autre côté de la Manche. Et puis la France pouvait aussi utiliser certains leviers dans le cadre des négociations en cours sur le Brexit, en promettant des concessions françaises allant dans le sens du Royaume-Uni.”
Londres aurait ainsi demandé à Paris des garanties concernant sa participation à l’Europe de la défense, à laquelle elle tient. Si un tel marchandage n’est pas confirmé officiellement, l’entourage d’Emmanuel Macron convient toutefois qu’il existe “des incertitudes sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et un contexte qui impacte tout le reste, notamment le secteur de la défense”.


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