Le chef de l’armée libanaise est-il la nouvelle coqueluche de l’Occident pour contrer le Hezbollah?
En pleine crise politique et économique, le commandant en chef de l’armée libanaise s’est rendu au Caire. Or, au-delà de l’aspect humanitaire de sa visite en Égypte, Joseph Aoun multiplie les visites à l’étranger. Notamment en Occident. L’Ouest compte-t-il épauler celui qui serait perçu comme un contrepoids parfait au Hezbollah?
Le chef de l’armée libanaise joue les émissaires. Le 28 juillet, Joseph Khalil Aoun était en déplacement au Caire pour évoquer l’urgence de la situation humanitaire libanaise. Le Caire s’est même dit prêt à venir en aide au Liban. Le pays du Cèdre enchaîne les crises. La violence y devient endémique. C’est l’armée qui en fait les frais entre les barricades urbaines, les pneus brûlés, les sit-in géants, les émeutes, le saccage des banques ou les intimidations devant les bureaux politiques. Et ce alors même que les soldats subissent les conséquences de la crise protéiforme qui frappe le pays de plein fouet. Naguère, un officier de l’armée gagnait 4.000 dollars par mois. Aujourd’hui, il n’en touche que 400. Un militaire du rang ne touche pour sa part que 80 dollars à la fin du mois. Donc, pour tenter de renflouer les caisses, l’armée propose sur son site Internet… des balades touristiques en hélicoptère pour la modique somme de 150 dollars!
De ce fait, le commandant en chef n’hésite pas à se rendre à l’étranger pour solliciter aide et appuis. Mais, derrière ses nombreux déplacements, il se positionnerait également en principal interlocuteur de l’Occident et en rival de l’actuel Président, Michel Aoun.Hormis le treillis, tout les oppose. En froid avec la France, le chef de l’État libanais s’exposerait même à des sanctions européennes en cas de non-formation d’un gouvernement avant le 4 août prochain.
Alors que, de son côté, Joseph Khalil Aoun, tel un politique, s’est rendu à l’Élysée en mai dernier. C’était la première fois dans l’histoire que le chef de l’armée libanaise était reçu par le Président de la République.
Une manœuvre qui pourrait s’expliquer en partie par les ambitions présidentielles du commandant de l’armée. En effet, les élections approchent au Liban et son nom serait sur la table avec celui du gendre du Président, Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL). Ce dernier est lui aussi sanctionné par Washington depuis novembre dernier. Il est accusé de corruption et de liens avec le Hezbollah.
Pour sa part, Joseph Aoun était aux États-Unis en 2019. Et il prévoit d’y retourner prochainement. Autre exemple et non des moindres, sa visite en Arabie saoudite en 2019 et son entrevue avec Mohammed ben Salmane sur fond de refroidissement des relations libano-saoudiennes. Riyad reproche en effet au Président Aoun d’être à la botte du Hezbollah, ennemi invétéré de la monarchie du Golfe. Miser sur le chef de l’armée contre le Président libanais, c’est par ricochet s’opposer au puissant parti chiite. Et ça, l’Occident l’aurait bien compris.
Washington ne semble pas le nier: il préférerait renforcer le poids de l’armée libanaise pour faire contrepoids au Hezbollah. Sur la chaîne britannique Sky News Arabia, un responsable du Pentagone appelait ainsi à «améliorer les capacités de l’armée libanaise afin de contrer le Hezbollah et d’éviter que les institutions sécuritaires du pays ne se retrouvent entre les mains du parti». La puissante formation chiite est considérée comme organisation terroriste par les Américains depuis 1995. L’Administration Biden ne lésinerait pas sur les moyens pour atteindre son objectif.
Les États-Unis ont augmenté de 12% en mai dernier leur aide à l’armée libanaise, qui atteint 120 millions pour l’année 2021. Ce soutien financier est multisectoriel, il vise à améliorer l’équipement de l’armée, du véhicule blindé à l’hélicoptère de combat, en passant par les systèmes de vision nocturne. De surcroît, l’État américain s’efforce également de former les soldats libanais. Depuis 2014, plus de 6.000 militaires auraient reçu une formation aux États-Unis. Et la France n’est pas en reste. Les deux pays ont en effet signé en février dernier trois conventions en matière de défense, de coopération navale, de lutte antiterroriste et de combats en montagne. Depuis 2016, Paris aurait livré 60 millions d’euros d’équipements aux unités militaires libanaises.
Ainsi les puissances occidentales espèrent-elles voir l’armée libanaise empêcher le Hezbollah d’étendre trop facilement son influence sur le pays. Surtout que le mouvement chiite est moins touché par la crise. Contrairement aux autres partis politiques qui peinent à recevoir un soutien étatique, il peut toujours compter sur l’aide régulière de Téhéran. En 2020, selon le département d’État américain celle-ci s’élevait à 700 millions de dollars.