Dans la Syrie en guerre, le défi de se débarrasser des mines antipersonnel

En retrouvant son champ dans le sud de la Syrie après les combats, Abou Thaer ne savait pas que sa vie allait changer de fond en comble. Une mine antipersonnel abandonnée par des jihadistes lui a amputé la jambe gauche.

Dans un pays déchiré par la guerre depuis 2011, ces incidents récurrents posent un problème majeur aux personnes qui retournent dans les zones aujourd’hui épargnées par les violences.

A l’instar d’Abou Thaer, des milliers ont été blessés — et des centaines tués — par l’explosion de mines enfouies sur les routes, dans les terres agricoles ou dans les quartiers résidentiels par les différents belligérants du conflit.

« J’arrachais les mauvaises herbes et commencais à labourer quand une mine a explosé », raconte l’agriculteur de 46 ans, à la peau mate burinée, qui s’exprime sous un pseudonyme.

Dans les locaux d’une association médicale qu’il visite régulièrement à Damas, le quadragénaire remonte son pantalon noir laissant apparaître sa prothèse.

Le drame s’est déroulé il y a un an, dans sa province de Deraa, où il plantait autrefois du blé et des tomates.

Contrôlé par une faction ayant prêté allégeance au groupe Etat islamique (EI), son village avait été reconquis à l’été 2018 par les forces de Bachar al-Assad.

« Avant je cultivais la terre, mais maintenant je n’ai plus la force, j’accomplis seulement de simples tâches », affirme-t-il.

En Syrie, 10,2 millions d’hommes, de femmes et d’enfants dans environ 1.980 communes du pays sont exposés aux dangers des restes explosifs de guerre selon l’ONU.

En juillet, 30 civils, dont 15 enfants, ont été tués dans l’explosion d’anciennes mines, d’engins explosifs ou de grenades, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

– 140 tonnes –

Dans les zones reconquises par le régime syrien, les autorités s’emploient à neutraliser ces explosifs.

Quasi-quotidiennement, le ministère de la défense annonce procéder à l’explosion de bombes ou de munitions retrouvées dans ces territoires.

Mais « l’absence des plans de mines » rend cette tâche encore plus « laborieuse », avoue sous le couvert de l’anonymat un responsable des équipes de déminage.

Sans ces coordonnées, les opérations de nettoyage risquent de prendre « des dizaines d’années », met-il en garde.

Au fil des ans, Damas a réussi à consolider son emprise sur plus de 60% du pays, grâce au soutien de la Russie et l’Iran.

Mais les mines représentent aujourd’hui « un grand défi et un dossier épineux », admet le responsable, évoquant des « pertes considérables ».

Dans les banlieues des provinces de Hama, Hassaké et Deir Ezzor, de nombreux cas de décès de femmes et d’enfants ont été recensés ces derniers mois, notamment durant la saison des truffes, selon l’agence officielle.

Sur des terrains agricoles de la Ghouta orientale, ex-bastion rebelle aux portes de Damas repris en avril 2018, une équipe de l’AFP a pu assister à une telle opération.

Empilées pêle-mêle dans des fosses de terre, des mines rouillées, des obus de mortier et des munitions y sont détonées, après l’allumage de longues mèches bleues qui serpentent au sol.

L’équipe chargée du déminage a déjà « nettoyé 21 localités » de la Ghouta, indique à l’AFP son directeur, le général Mayass Issa.

« Nous avons fait exploser 140 tonnes de munitions de formes et de tailles différentes, d’origine locale ou importée », précise-t-il.

– « Ne touchez pas » –

En juillet 2018, les autorités syriennes et les Nations-unies ont signé un protocole permettant au service d’action antimines de l’ONU (UNMAS) de soutenir les efforts du gouvernement syrien.

Les équipes onusiennes n’ont pas encore mené des opérations de déminage, mais elles ont lancé des campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux, dans les médias et via SMS.

« Les restes des explosifs sont dangereux, ne touchez pas, ne vous approchez pas, protégez-vous, prévenez immédiatement les autorités les plus proches », est l’un des messages reçus par de nombreux Syriens sur leurs téléphones ces dernières semaines.

Par ailleurs, l’ONU a formé 70 personnes chargées de sensibiliser la population locale dans les zones les plus à risque, indique Fadwa AbedRabou Baroud, une porte-parole de l’ONU à Damas.

Cette campagne, amorcée dans les environs de Damas et la province de Hama (nord), devrait s’élargir ultérieurement aux provinces méridionales de la Syrie, y compris à Deraa.

Mais pour Abou Thaer, ces efforts arrivent très tard. Il dit craindre « l’explosion d’une autre mine » qui changerait de nouveau le cours de sa vie ou de celle de sa famille.

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page