Pénurie d’eau en Iran: C’est une bombe à retardement
Face à la sécheresse en Iran, plusieurs régions manifestent contre les autorités. La rareté de l’eau ne serait que le prétexte d’un mécontentement plus profond, lié aux sanctions américaines et à la crise économique. Mais, selon Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, il ne faudrait pas minorer les soubassements ethniques de ces manifestations.
La sécheresse est-elle la goutte d’eau qui fera déborder le vase iranien? Dans plusieurs régions, les températures peuvent atteindre 50°C. Résultat: un stress hydrique intenable qui touche deux cents villes dans le pays. Ces pénuries provoquent la colère des habitants. Ceux-ci n’hésitent pas à descendre dans les rues pour manifester. Depuis le 15 juillet, ceux du Khouzestan, une province du Sud-Ouest, protestent tous les jours. Les affrontements avec les forces de l’ordre ont déjà fait trois morts, dont un policier. Des médias étrangers parlent de «répression» de la part du régime. Pour sa part, le gouverneur de la province, Qassem Soleimani-Dachtaki, a pourtant insisté «sur le fait que les forces de sécurité n’affrontent pas violemment la population et n’ouvrent le feu en aucun cas». «Le peuple nous est cher», a-t-il martelé.
«C’est une bombe à retardement», résume Thierry Coville, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). «La situation hydrique est catastrophique. Les gens se plaignent du manque d’eau potable. Les agriculteurs n’ont pas assez d’eau pour leurs activités. Il y a un affaiblissement du niveau d’eau dans tout le pays», explique-t-il avant de rappeler: «Pourtant, ce n’est pas nouveau en Iran.»
En Iran la situation hydrologique et les conditions climatiques ne favorisent pas l’abondance hydrique. Mais la pénurie est aujourd’hui liée à deux secteurs économiques particulièrement gourmands en eau: l’agriculture et l’industrie pétrolière. «Les autorités iraniennes ont construit des usines qui consomment beaucoup», nous confirme le chercheur .
De surcroît, la croissance démographique exponentielle de l’Iran n’a pas manqué d’accroître la consommation d’eau. Le pays a vu sa population doubler en trente ans! Aujourd’hui, la quantité d’eau par habitant est estimée à 1.700 mètres cubes. Soit environ quatre fois moins que la moyenne mondiale. Selon de nombreux experts, l’Iran connaîtra une situation de stress hydrique extrême d’ici à 2040.
Toutefois, dans l’absolu, les raisons de la colère populaires «sont plus profondes» juge le spécialiste de l’Iran.
Et pour cause, l’Iran vit sous le régime des sanctions américaines depuis 1979. Des dispositions qui n’ont cessé de s’alourdir. L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en 2016 a marqué un net durcissement. Avec la sortie de Washington de l’accord sur le nucléaire iranien en 2018, les États-Unis ont voulu «ramener les exportations iraniennes à zéro». Ils ont notamment tenu à interdire aux autres pays d’importer du pétrole d’Iran, où l’or noir est la principale ressource.
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Parallèlement aux sanctions contre le pétrole, des mesures ont également été prises contre les secteurs de l’aéronautique, de l’armement, des services financiers, des minerais… Les avoirs de certaines personnalités ou entités iraniennes sont gelés. Toute transaction en dollars avec l’Iran est interdite. Le pays des mollahs a donc du mal à attirer des investisseurs étrangers.
Résultat: la monnaie iranienne s’est effondrée face aux devises étrangères. La classe moyenne est en net recul. La pauvreté progresse. Le chômage toucherait plus d’un quart de la population. Une situation intenable:
«Ce n’est pas un hasard. Dès qu’il y a des mouvements de contestation dans le pays, ça provient majoritairement du Khouzestan ou du Sistan-Baloutchistan, les régions les plus pauvres. L’Iran est exsangue économiquement. Et les sanctions aggravent la situation. Les gens montrent leur mécontentement contre le régime. Les autorités craignent de voir les protestations se répandre. Il y a eu une manifestation à Ispahan», nous révèle Thierry Coville.
«C’est encore trop tôt pour le dire, mais ça pourrait être de même ampleur qu’en novembre 2019», prévient-il. À la suite de l’augmentation du prix de l’essence, des manifestations massives avaient alors embrasé le pays. Selon les autorités, 230 personnes ont trouvé la mort au cours des affrontements. Un rapport d’un groupe d’experts indépendants travaillant pour le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme avance carrément le nombre de 400 victimes.
Reste qu’aujourd’hui, «l’élément important des manifestations en Iran est le facteur ethnique». Une origine qui «pourrait aggraver la crise», craint Thierry Coville.
Les manifestations en cours prennent place dans des régions ethniquement non perses et non chiites. Le Khouzestan est une province limitrophe de l’Irak et y abrite une majorité de sunnites arabes. Le territoire du Sistan-Baloutchistan est proche du Pakistan. Y résident des populations baloutches sunnites. En somme, «un cocktail un peu détonant», analyse le géopolitologue. Et une situation qui se complique à vue d’œil:
«Il y a une bataille dans les médias. Les officiels vont accuser les manifestants d’être à la botte des “sionistes”. Mais il ne faut pas non plus minorer les volontés sécessionnistes de certains d’entre eux. Y a-t-il des gens qui profitent de cette situation pour faire avancer leur cause? Pour ce qui est du Khouzestan, certains mouvements ont déjà reçu des fonds de l’Arabie saoudite», résume le chercheur.
Les régions sécessionnistes s’aligneraient en effet sur Riyad et les affrontements sont réguliers avec la République islamique. «Il y a des groupes armés indépendants», affirme Thierry Coville. Par exemple, au Khouzestan, sévit la milice les Faucons d’Ahvaz. Formée en 2015, elle a revendiqué plusieurs attaques contre les installations gouvernementales. Au Sistan-Baloutchistan, région proche du Pakistan et de l’Afghanistan, des troubles ont fait plusieurs morts en février dernier. Cette province suscite la méfiance des mollahs, qui y maintiennent des forces de sécurité. Toutes ces divisions ethniques feraient le jeu du grand ennemi de l’Iran :
«À l’époque de Bush, Washington misait sur le morcellement de l’Iran à cause de ses différentes minorités kurdes, azéries, baloutches et arabes. Le pouvoir central reste extrêmement prudent et surtout le nationalisme iranien reste très fort, y compris au sein des minorités», conclut Thierry Coville.
Par Alexandre Aoun