En Afrique du Sud, le charbon à perte de vue, à perte de poumon
En Afrique du Sud, le charbon à perte de vue, à perte de poumon.
La province du Mpumalanga, à 200 kilomètres à l’est de Johannesburg, est le cœur de l’industrie sud-africaine du charbon. Dans un petit périmètre se concentrent 22 mines et 12 centrales à charbon. De quoi alimenter en électricité le géant économique du continent. Pourtant, cette immense mine à ciel ouvert de 150 kilomètres est le deuxième endroit le plus pollué au monde, responsable de la mort de milliers de personnes tous les ans.
Le gouvernement l’appelle volontiers « Zone de développement prioritaire ». Les ONG de défense de l’environnement parlent plutôt « d’airpocalypse ». La province du Mpumalanga est presque entièrement assise sur du charbon. Ce qui explique le nombre astronomique de sites d’extraction minière et la concentration hors-norme de centrales d’Eskom, le géant de l’électricité sud-africain.
Sur la route de Kriel, la ville la plus polluée du pays, s’enchaînent des dizaines de mines et de centrales, bourgeonnant au milieu des quelques troupeaux de bétails subsistant. Les poids lourds remplis de l’or noir du Mpumalanga sont ici plus nombreux que les voitures. À l’horizon, l’air est noir, épais.
86% de l’énergie provient du charbon
« C’est comme de la brume, assure Nimrod Gaskin, un habitant de Kriel. Vous ne pouvez pas voir grand-chose. Regardez toute cette fumée qui sort de la centrale. C’est une journée ensoleillée aujourd’hui, il fait 29 degrés. Mais la visibilité est quasiment nulle. On ne peut pas voir à plus de 5 kilomètres. »
Du doigt, il indique les centrales de Kriel et de Matla, quasiment juxtaposées. Elles font partie des douze centrales thermiques qui opèrent dans ce petit périmètre, le centre névralgique de la production d’électricité sud-africaine. 86 % de l’énergie produite dans la nation arc-en-ciel provient du charbon.
« Les perspectives dans le Mpumalanga sont peu réjouissantes », se lamente Melita Steele, responsable de la branche énergie de Greenpeace Africa. En effet, les centrales électriques datent des années 1970 et sont vétustes. « Les deux géants Eskom et Sasol (pétrole) ont demandé à l’État d’étendre leur délai pour se mettre aux normes environnementales. »
Normes environnementales bafouées
Au cours des deux dernières années, Eskom a dépassé à 3 200 reprises les limites d’émission de dioxyde de sulfure et de nitrogène. Les opérations de maintenance sont souvent sacrifiées sur l’autel des coupes budgétaires. L’État sud-africain se retrouvera d’ailleurs bientôt face à la justice, après que des ONG l’ont accusé d’avoir fermé les yeux sur le non-respect des normes environnementales des entreprises.
Ce sont les habitants de la province qui en payent le prix fort. « L’air est irrespirable, souffle Sophie Maselelela, une avocate de 49 ans. Ici, tout le monde a de l’asthme, une sinusite ou un cancer des poumons. » « Nous ne faisons que mourir à cause de cette pollution », renchérit Makosazana Masongo, actuellement en arrêt de travail à cause de ses problèmes respiratoires.
D’après le Centre pour les droits environnementaux, la pollution des mines de charbon du Mpumalanga tue prématurément 2 200 Sud-Africains chaque année, un chiffre qu’Eskom refuse de reconnaître. Les émissions de dioxyde de nitrogène seraient aussi responsables de 996 000 jours de congés maladie cumulés et de 2 milliards d’euros de frais médicaux.
Huit patients sur dix atteints de maladies respiratoires
« Plus de 80 % des consultations dans mon cabinet sont liées à des maladies respiratoires, indique le docteur généraliste Sunday Mazibuko, qui s’est récemment installé dans la ville de Kriel. C’est beaucoup de sinusites et de bronchites. Ces dernières semaines, nous avons traité quasiment tout le temps des infections de la trachée et des sinusites. »
C’est le cas de Ntuli, une ingénieur de 38 ans, qui souffre de sinusite chronique. On la retrouve en train de manifester devant le petit tribunal de Kriel. Pouquoi ? Pour retrouver son travail dans la centrale d’Eskom. « On est perdant deux fois dans cette ville, assure-t-elle. D’abord, nos poumons sont en constant danger à cause du charbon. Puis on perd notre travail à cause de nos problèmes de santé. » À défaut de soigner ses poumons, elle souhaite retrouver son poste.
Ntuli n’a reçu aucune compensation et doit prendre en charge elle-même son traitement. « Je suis censée utiliser un spray pour mieux respirer. » Trop cher pour son petit budget. « Je suis malade et ne peux même pas me soigner. C’est ça le quotidien à Kriel ! »
Alors quelles sont les réponses face à l’urgence climatique de la part des autorités sud-africaines ? « Très limitées », reconnaît Melita Steele de Greenpeace Africa. « Le gouvernement parle du climat de manière progressive à l’international. Mais ça ne se reflète pas dans la réalité sur place. On continue par exemple à extraire de plus en plus de charbon, à ne pas avoir de loi sur le changement climatique. Le gouvernement continue d’abaisser les restrictions de qualité de l’air. » Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a tout de même promulgué en mai dernier une taxe carbone, une première sur le continent.
Par Noé Hochet-Bodin