La Turquie dans une position diplomatique délicate entre la Russie et l’Ukraine
La guerre déclarée à l’Ukraine par le président russe ce jeudi 24 février au matin place la Turquie dans une situation de « grand écart », se positionnant entre deux pays avec lesquels elle partage une frontière maritime dans la mer Noire.
Ce jeudi 24 février, lors d’un conseil de défense, le président turc a qualifié « d’inacceptables » les offensives menées par la Russie en Ukraine. Il a demandé à la Russie de mettre fin à son intervention injuste et illégale, mais sans pour autant évoquer de sanctions contre cette dernière.
Alors qu’il s’était entretenu avec Vladimir Poutine au téléphone le mercredi 23 février, le président turc avait indiqué que la Turquie ne reconnaîtrait aucune mesure affectant l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Il avait alors insisté sur le nécessité de régler le conflit par « la voie du dialogue », souhaitant que son pays « apaise les tensions pour préserver la paix ». Il avait également invité son homologue russe dans les plus brefs délais pour un « Conseil de coopération de haut niveau ».
Le mardi 22 février, Recep Tayyip Erdogan, le président turc, avait déclaré « inacceptable » la reconnaissance des régions séparatistes de l’Ukraine par la Russie. Mais en parallèle, il avait aussi indiqué que « la Turquie ne peut renoncer ni à la Russie ni à l’Ukraine ».
Suite au début des offensives aérienne et terrestre lancées par les Russes, jeudi dans la matinée, l’ambassadeur ukrainien à Ankara a demandé à la Turquie de fermer les détroits du Bosphore et des Dardanelles aux navires de guerre russes.
Ainsi, selon la convention, si la Turquie devait prendre parti pour l’Ukraine, elle pourrait bloquer l’accès de ses détroits aux navires russes. Pour l’heure, la Turquie n’a pas réagi à cette requête ukrainienne.
La convention de Montreux (1936), qui régit les voies navigables turques entre la mer Égée et la mer Noire (détroits du Bosphore et des Dardanelles), réglemente la circulation à travers les détroits en temps de paix et de guerre. En temps de guerre, la libre circulation reste assurée pour les pays avec lesquels la Turquie n’est pas en guerre. Mais la libre circulation peut être suspendue si la Turquie est partie à un conflit, ou si elle s’estime menacée.
Le chef de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, a appelé le gouvernement à respecter les termes de cette convention : “La convention de Montreux est un texte très important pour la sécurité de la Turquie, nous devons nous y conformer. Si nous ne le faisons pas, la facture sera très lourde”, a-t-il prévenu, rapporte Cumhuriyet.
Ce sont surtout les éventuelles conséquences économiques d’un conflit en Ukraine qui alarment la presse turque, alors que le pays traverse déjà une crise économique aiguë marquée par une chute de la monnaie nationale ayant provoqué une très forte inflation.
La Turquie est, par ailleurs, très dépendante des importations de gaz de Russie et d’Iran et des céréales russes, mais aussi des touristes russes et ukrainiens.
Si la Turquie et la Russie ont entretenu de bonnes relations pendant des années, celles-ci s’étaient ternies en 2015, alors qu’un avion russe avait été abattu par deux chasseurs turcs à la frontière turco-syrienne.
Par ailleurs, Ankara a toujours refusé de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie (2014).
Si en 2019, la Turquie se dotait de missiles russes S-400 contre l’avis de l’OTAN dont elle est membre, la même année, elle avait également livré des drones à l’Ukraine, en conflit avec les séparatistes du Donbass soutenus par Moscou.
S’il condamne la position russe, le président Erdogan connaît aussi les risques auxquels son pays s’expose en cas de rupture totale avec le pays de Poutine ; la Turquie est dépendante des importations de gaz de Russie, mais aussi d’échanges économiques importants : les touristes russes occupaient en effet la première place en nombre de visiteurs en 2021, avec plus de 4,5 millions de voyageurs, principalement dans la région d’Antalya. Et les Ukrainiens étaient, eux, la 3ème nationalité après les Allemands à venir faire du tourisme en Turquie en 2021, avec un peu plus de 2 millions de visiteurs.
par: Arab Observer