L’ancien chef du Mossad accuse Israël d’apartheid
Un ancien chef du Mossad qui parle d’apartheid, et c’est un tabou qui tombe en Israël. Les conséquences peuvent être nombreuses, et notamment remettre la question palestinienne dans le débat en Israël d’où elle avait largement disparu.
Tamir Pardo, chef du Mossad de 2011 à 2016, a estimé que le traitement des Palestiniens était comparable à l’apartheid, le système de racisme institutionnalisé qui a sévi en Afrique du Sud jusqu’en 1994. « Un territoire dans lequel deux peuples sont régis par deux systèmes juridiques séparés, c’est un état d’apartheid », a-t-il dit.
Il n’y a pas si longtemps, quiconque employait le mot « apartheid » pour décrire la situation dans les territoires palestiniens risquait l’accusation d’antisémitisme. Hier, c’est un ancien patron du Mossad, le service de renseignement israélien, qui a lancé l’accusation, rejoignant une petite liste de personnalités de l’État hébreu qui ont sauté le pas.
Le tabou saute progressivement en Israël même en raison des outrances de l’extrême droite, partie intégrante de la coalition au pouvoir. C’est le reflet de la bataille politique exacerbée qui se déroule entre « deux » Israël que tout sépare. La situation dans les territoires palestiniens était restée largement à l’écart de ces débats : ce n’est plus le cas.
Cet ancien chef du Mossad et d’autres anciens responsables militaires ou politiques se sont décidés à franchir le pas de cette qualification infâmante en raison de la radicalisation de la politique de la coalition de Benyamin Netanyahou au pouvoir.
La goutte d’eau a sans doute été une scène qui a choqué à la télévision israélienne : Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité intérieure, un dirigeant d’extrême droite qui habite dans la colonie juive de Kiryat Arba, à côté d’Hébron, en Cisjordanie, était interviewé par un journaliste arabe israélien. Le ministre a déclaré en s’adressant au journaliste : « je suis désolé Mohammed, mon droit, celui de ma femme et de mes enfants de circuler en Judée et Samarie est plus important que le droit des Arabes à la liberté de circulation ». S’il fallait donner une définition de l’apartheid, le ministre l’a fournie lui-même.
Benjamin Pogrund, un Israélien d’origine sud-africaine, qui fut engagé contre l’apartheid dans sa jeunesse, a témoigné dans la presse de son changement d’opinion. Il avait écrit un livre en 2014 pour contester la qualification d’apartheid ; aujourd’hui, il estime que dans les territoires, Israël prend la direction de l’Afrique du Sud il y a 75 ans.
Les conséquences de ce tournant peuvent être sérieuses, car l’apartheid sud-africain avait été combattu par des sanctions internationales ; aujourd’hui, les partisans de sanctions contre Israël sont minoritaires, mais pourraient s’appuyer sur cette qualification désormais admise à l’intérieur d’Israël, pour se faire entendre.
Mais surtout, la fin de ce tabou remet la question palestinienne dans le débat. La société israélienne a longtemps fermé les yeux sur ce qui se passait dans les territoires, mais ce n’est plus possible avec l’agenda radical de la coalition au pouvoir.
D’ailleurs, l’autre propos de l’ancien chef du Mossad qui a fait sursauter, c’est son estimation que la question palestinienne est plus urgente pour Israël que la menace du nucléaire iranien. Ça fait bien longtemps que quelqu’un de son calibre n’a pas été aussi carré, signe de la rupture provoquée en quelques mois par le premier ministre Netanyahou et ses alliés.