Le régime turc en difficulté sur le plan économique et politique
C’est un véritable autodafé auquel a procédé le régime turc il y a quelques jours. Près de 300.000 livres liés, parfois assez vaguement, à Fethullah Gülan, allié du chef de l’Etat Recep Tayyip Erdoğan devenu son ennemi juré, ont été brûlés sur ordre du gouvernement. Dans un pays où le quart des maisons d’édition et près de 150 médias ont été fermés depuis trois ans et 5.800 professeurs d’universités licenciés, ce nouveau tour de vis illustre la crispation du président turc qui traverse actuellement une mauvaise passe.
L’AKP menacé d’éclatements
Alors qu’il avait accumulé une douzaine de victoires électorales d’affilée depuis son arrivée au pouvoir en 2003, Recep Tayyip Erdoğan a perdu en juin les mairies cruciales d’Istanbul et Ankaraau profit du Parti républicain du peuple (CHP, opposition laïque). Puis deux des ténors de son parti islamo-conservateur, AKP, ont claqué la porte et comptent créer un nouveau parti à l’automne : Abdullah Gül, qui avait créé l’AKP avec Recep Tayyip Erdoğan et était resté son compère loyal en tant que Premier ministre ou chef de l’Etat, et Ali Babacan. Ce dernier, considéré par les investisseurs comme le garant du sérieux de la politique économique du gouvernement quand il était ministre des Finances entre 2009 et 2015, a fait part de « profondes divergences » avec la politique suivie par l’AKP.
La formation dirigée par le chef de l’Etat a perdu sa majorité absolue aux élections législatives organisées il y a un peu plus d’un an, obligeant Erdoğan à s’allier à l’extrême droite nationaliste. « Dans les circonstances actuelles, la Turquie a besoin d’une vision totalement nouvelle pour son avenir. Il faut corriger les analyses dans tous les domaines, développer de nouvelles stratégies, de nouveaux plans et de nouveaux programmes pour notre pays », a souligné Ali Babacan. Les deux frondeurs pourraient être rejoints par l’ancien Premier ministre, Ahmet Davutoğlu.
Fâcheries tous azimuts
La situation n’est guère plus flatteuse sur le plan diplomatique. Certes, Ankara a ébauché un accord avec Washington sur une zone tampon entre ses forces et celles des Kurdes dans le nord de la Syrie. Mais le régime turc, qui a acheté le système antimissiles russe S400 tout en étant membre de l’Otan, est menacé de sanctions de Washington, en matière d’approvisionnement militaire pour la première fois depuis le coup d’Etat militaire de 1980. L’Union européenne a aussi puni la Turquie pour des forages pétroliers dans des eaux chypriotes. Comme le régime d’Erdoğan est aussi fâché avec l’Arabie saoudite, l’Egypte, Israël, la Syrie, il n’a plus guère de bonnes relations qu’avec la Russie et la Chine (qui lui a prêté un milliard de dollars en juin, un soutien sans précédent).
Croissance négative
La situation économique de ce pays de 80 millions d’habitants n’est pas en reste, ce qui a contribué au revers électoral du printemps. Le chômage frappe 14 % de la population active. La croissance économique devrait être négative sur l’ensemble de l’année pour la première fois depuis la crise de 2008, elle s’est repliée de 2,6 % au premier trimestre . Les ventes de véhicules se sont effondrées de 66 % en juillet, un mois après la fin d’aides fiscales, illustrant à quel point l’économie turque dépend des aides gouvernementales.
Nombre d’entreprises ont dû négocier des « konkordato » avec leurs banques, étranglées par leurs dettes en devises (équivalentes au tiers du PIB) en raison de la chute de la devise l’an dernier. Une chute liée à la politique monétaire excentrique défendue par Recep Erdoğan. La récession a toutefois eu un résultat positif, la réduction du déficit de la balance des paiements à 548 millions de dollars en juin, selon des données récentes de la banque centrale. Six fois moins qu’en juin 2018.