Les mensonges des responsables américains sur la guerre en Afghanistan
Dans des centaines d’entretiens confidentiels, des personnalités américaines haut placées dressent un bilan accablant de la guerre en Afghanistan.
Ces entretiens, obtenu par le Washington Post après une bataille juridique de trois ans, ont été recueillis par le bureau spécial de l’inspecteur général pour la reconstruction de l’Afghanistan (Sigar), en charge de tirer les leçons de dix-huit ans d’une guerre impossible à gagner.
Deux principaux constats ressortent de ce rapport. D’un côté, les administrations successives ont fermé les yeux sur la corruption généralisée parmi les responsables afghans, permettant le vol de milliards de dollars d’aide américaine. De l’autre, de nombreux responsables ont manipulé les chiffres de ce conflit, pour la plupart mauvais ou pessimistes, pour faire croire au peuple américain que la guerre était un succès.
«Chaque point de données a été modifié pour présenter la meilleure image possible», a déclaré Bob Crowley, colonel et conseiller principal des commandants militaires américains en 2013 et 2014. «Il était impossible de créer de bonnes statistiques, ajoute un haut fonctionnaire du Conseil de sécurité nationale. Même en utilisant le nombre de troupes formées, les niveaux de violence, le contrôle du territoire, rien de tout cela ne dressait un tableau précis.»
Les 2.000 pages de documents révèlent aussi la mauvaise gestion de cette campagne militaire initiée par le président George W. Bush après les attaques terroristes d’Al-Qaïda sur le sol américain en 2001, puis poursuivie sous les mandats de Barak Obama et Donald Trump. «Nous étions dépourvus d’une compréhension fondamentale de l’Afghanistan, nous ne savions pas ce que nous faisions», a déclaré Douglas Lute, un lieutenant-général qui a supervisé la campagne dans le pays.
Ce conflit a coûté la vie à au moins 38.000 civil·es afghan·es, de 2.300 militaires américain·es et fait plus de 20.000 blessé·es. Quant à la facture, elle s’élève à environ 2 billions de dollars. Cet argent n’aurait que rarement profité à la population afghane.
«Si vous regardez le montant global des dépenses en Afghanistan, vous voyez qu’une infime partie de cet argent a servi à aider la population du pays», a déclaré aux enquêteurs Robert Finn, ambassadeur des États-Unis en Afghanistan en 2002 et 2003.
Sur les 133 milliards de dollars que les États-Unis ont dépensés pour des programmes de reconstruction en Afghanistan, environ 87 milliards ont été consacrés à la formation de l’armée et à des forces de police afghanes. La plus grosse dépense reste le remboursement des 600 milliards de dollars d’intérêts sur les emprunts massifs contractés par le pays pour financer la guerre, et ce jusqu’en 2023.
En face, le bilan est bien maigre. Si la vie semble s’être améliorée dans quelques villes d’Afghanistan, où des institutions démocratiques ont été fondées, les talibans ont repris une partie de ce pays qui reste l’une des principales sources de réfugiés et de migrants au monde.
Le 7 décembre, les États-Unis ont enclenché une nouvelle série de négociations de paix avec les talibans dans le but de sortir, enfin, de cette guerre.