Le terrorisme prospère dans le désert à l’est de l’Euphrate, là ou les forces occidentales sont présentes» selon Tahhan
La Syrie a fustigé l’entrée illégale sur son territoire de délégations néerlandaise et française, effectuée officiellement pour des raisons de rapatriement d’anciens djihadistes. Au-delà de l’aspect pratique de ces échanges, les Occidentaux resteraient en lien avec les Kurdes pour empêcher Damas de disposer de son pétrole, analyse Bassam Tahhan.
«Violation flagrante du droit international et de la souveraineté de la République arabe syrienne.» Damas a condamné fermement la visite de deux délégations européennes dans des régions qui lui échappent toujours. En effet, les médias kurdes ont annoncé le 5 juin l’arrivée d’une commission néerlandaise dans la ville de Qamichli. Les Pays-Bas ont confirmé ce voyage, tout en en précisant l’objectif: le rapatriement d’une «ressortissante néerlandaise soupçonnée d’infractions terroristes avec ses deux enfants mineurs, ainsi qu’une victime d’enlèvement international d’enfants».
Plus tôt durant le mois de mai, des Français étaient également entrés sur le territoire syrien. Selon un porte-parole ministériel syrien, l’équipe «de la Fondation Danielle Mitterrand et de la Mairie de Paris» s’est rendue «illégalement» dans la ville de Qamichli, ce qui constitue «une autre implication directe de la France dans l’agression contre la Syrie».
«Plus de 3.000 djihadistes de Daech viennent d’Occident. Se pose la question de savoir si on les rapatrie ou pas. Les forces kurdes ne peuvent plus gérer les prisons de terroristes, d’où la venue de ces délégations», réagit le politologue franco-syrien Bassam Tahhan au micro de Sputnik.
«Avec les familles des terroristes, on dénombre pas moins de 30.000 habitants dans les prisons kurdes», explique-t-il. Laurent Nuñez, coordinateur national du renseignement français, rappelait en mars dernier que «ces gens, qui sont partis volontairement pour combattre la France, doivent être jugés là où ils ont commis leurs méfaits» avant d’ajouter «35 orphelins ou mineurs isolés ont été rapatriés depuis les camps de Rojava jusqu’à présent». Ces visites européennes en Syrie répondent d’abord à «un intérêt purement pratique», estime Bassam Tahhan. Cela n’empêche pas leur aspect illégal, comme elles sont effectuées sans l’aval de Damas.
Les Kurdes considèrent Qamichli comme la capitale du Kurdistan syrien. Cette zone échappe encore au gouvernement de Damas. Les forces armées syriennes administrant en effet 70% du territoire. La zone kurde à l’est de l’Euphrate est contrôlée par les Forces démocratiques syriennes (FDS), elles-mêmes soutenues par les forces spéciales occidentales. On dénombre environ 900 soldats américains et «environ de 200 soldats français», comme le souligne le politologue. Officiellement, ils y maintiennent des contingents pour former les kurdes. Officieusement, «les Occidentaux jouent la carte kurde pour déstabiliser Damas», poursuit l’arabiste.
De surcroît, la région est riche en hydrocarbures. Les puits de pétrole sont aux mains de ces différentes forces. Ainsi, cette présence «illégale» occidentale empêcherait de fait à Damas de profiter pleinement de ses ressources naturelles. Le gouvernement syrien est obligé de s’en remettre à son allié iranien pour l’approvisionnement en or noir. Pas moins de 3,5 millions de barils ont été acheminés d’Iran au mois de mars pour pallier les difficultés économiques.
«Cette présence est illégale en Syrie, insiste le politologue. Pourquoi sont-ils présents? Ils veulent tout simplement empêcher le gouvernement de Damas de mettre la main sur un territoire qui lui appartient. C’est contraire au droit international et le peuple syrien en paie les conséquences.»
Durant les élections présidentielles syriennes, Paris, Londres, Berlin et Washington ont déclaré dans un communiqué commun qu’ils rejetaient «sans ambiguïté cette tentative du régime Assad pour retrouver une légitimité sans qu’il ne cesse ses graves violations des droits humains». «Mais qu’en est-t-il de la légitimité de leur présence au sol?» rétorque Bassam Tahhan.
Sans l’accord du gouvernement syrien, les troupes françaises et américaines sont officiellement présentes pour combattre l’État islamique* depuis août 2014, «c’était soi-disant le but de la coalition internationale» rappelle le spécialiste d la région. En mars 2019, les forces arabo-kurdes reprenant Baghouz, le dernier fief de Daech* dans le pays, la coalition internationale entamait alors un retrait progressif des troupes et du matériel présent en Syrie et en Irak sans pour autant partir pour de bon. La défaite territoriale de l’État islamique* n’a pas signifié pour autant la fin des actes terroristes en Syrie.
«Le terrorisme prospère dans le désert à l’est de l’Euphrate, là ou les forces occidentales sont présentes. Et les terroristes commettent des attaques hebdomadaires sur les forces syriennes. Il y a donc un laisser-faire évident. On pourrait finalement se demander à quoi servent véritablement les forces militaires occidentales présentes en Syrie. Elles n’ont rien à faire dans la région», tonne le politologue.
Selon le site libanais Daraj, depuis 2020, les djihadistes ont intensifié leurs opérations, tuant plus de 1.300 soldats de l’armée syrienne, deux membres des forces russes ainsi que 145 miliciens pro-Iran.
Finalement, le sort de la Syrie reste tributaire du bon vouloir des forces occidentales. «Sans elles, il est fort à parier que les Kurdes retourneraient dans le giron du gouvernement et que la Syrie pourrait récupérer l’intégralité de son territoire et jouir de ses ressources», conclut Bassam Tahhan.
Par Alexandre Aoun