Liban: Les manifestations continuent pour le septième jour
Corruption, incompétence, clientélisme… Au Liban, la classe politique et le système confessionnel en vigueur sont conspués par les centaines de milliers de manifestants mobilisés depuis plusieurs jours, qui les accusent d’avoir ruiné le pays.
« Voleurs ! » « Tous, ça veut dire tous ! » Au Liban, théâtre d’une contestation populaire inédite, les principaux slogans des manifestants réclament le départ de l’ensemble de la classe politique. « Au pouvoir depuis 30 ans », elle est accusée d’être corrompue et incompétente. Aucun leader de premier plan n’est épargné par la colère des Libanais, ni le président Michel Aoun, ni son gendre et ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, ni le Premier ministre Saad Hariri ou encore le président du Parlement et ancien seigneur de guerre Nabih Berri.
Du nord au sud du pays, même dans certains bastions du Hezbollah de Hassan Nasrallah, en passant par la capitale Beyrouth, les manifestants munis du seul drapeau libanais expriment leur ras-le-bol d’un système politique confessionnel qu’ils jugent défaillant. Mais qui pourtant parvient à se perpétuer.
« La révolte populaire en cours au Liban démontre que le système confessionnel n’a plus sa place dans le pays, il n’est plus légitime car il est bien incapable, et ce depuis plusieurs décennies, de répondre à la crise économique dont il est responsable de par sa nature, pas plus qu’il ne peut répondre aux besoins des Libanais, explique à France 24 Nour Kilzi, chercheuse en droit international à la Sorbonne. La population a besoin d’un État, cette crise est l’occasion d’en bâtir un sans la classe politique actuelle. »
Remontant aux années 1920, et consolidé en 1943 par le Pacte national (un accord intercommunautaire non écrit), le système politique en vigueur au Liban, qui compte 18 communautés religieuses, est basé sur le principe d’une démocratie consensuelle. Il repose aussi sur une répartition confessionnelle des fonctions officielles et administratives. Le président de la République et le chef de l’armée sont toujours chrétiens – maronites, précisément – tandis que le Premier ministre est sunnite et que le président du Parlement est issu de la communauté chiite. Enfin, alors que le traditionnel clivage entre la droite et la gauche est inexistant dans le pays, les portefeuilles ministériels et les 128 sièges de députés sont répartis paritairement entre musulmans et chrétiens.
La très fragile coalition gouvernementale actuellement au pouvoir comprend des ministres issus des principaux partis du pays, comme ceux de Saad Hariri, du leader féodal druze Walid Joumblatt, de Michel Aoun, de Nabih Berri, ainsi que ceux du Hezbollah. Autre leader de premier rang, Samir Geagea, chef de file des Forces libanaises (ex-milice chrétienne), a quant à lui annoncé la semaine dernière que les ministres issus de son parti allaient démissionner du gouvernement.
« Le système confessionnel libanais, tel qu’il a été conçu, ne peut que conduire à un système de corruption parce que chaque chef de communauté est dans un marchandage permanent avec les autres pour parvenir à une espèce d’équilibre dans lequel chacun veut sa part du gâteau »
Au Liban et dans le monde arabe, le système politique est responsable de la « crise de moralité » qui traverse le pays. « Le modèle économique de la classe politique actuelle est bâti sur les rétrocomissions des grands marchés publics, donc ce sont toujours les hommes d’affaires liés aux grands partis politiques qui obtiennent les contrats octroyés par l’État et qui reversent ensuite des commissions à ces partis politiques ».
Il y a encore quelques années, explique-t-il, les bailleurs de fonds étrangers, en particulier l’Arabie saoudite et l’Iran, finançaient le système politique libanais (à travers leurs alliés sunnites pour Riyad et chiites pour l’Iran), mais ce financement a diminué fortement depuis que ces deux puissances régionales s’affrontent sur d’autres théâtres, comme dans le Golfe ou au Yémen. « Depuis, la seule façon pour les partis politiques de se financer consiste à racler les fonds de marmites de l’État libanais », alors que la vague de manifestations a été provoquée par des hausses successives de taxes imposées par le gouvernement.
Sauf que le Liban se trouve aujourd’hui dans une situation économique explosive, le pays traversant l’une des pires phases de récession de ces trente dernières années, avec plus du quart de la population vivant sous le seuil de pauvreté, d’après la Banque mondiale. Aujourd’hui troisième dette mondiale derrière le Japon et la Grèce, la dette publique libanaise culmine à plus de 86 milliards d’euros, soit 151 % du PIB selon le FMI.
« Les manifestants sont outrés par la gestion économique du pays et par le climat d’impunité qui règne au sein de cette classe politique alors que les scandales de corruption se multiplient.
La jeune génération voit que tout est bloqué à cause d’un système bien ancré et conçu avec beaucoup de rigidité, elle constate aussi que ceux qui dirigent le pays sont incapables de régler les questions de l’électricité [les Libanais sont confrontés à d’incessantes coupures d’eau et de courant, NDLR], des ordures et de l’environnement. »
on a une doute que cette même classe politique soit capable de réformer le pays et le système politique. Si elle le fait, elle ne sera plus capable de monopoliser le pouvoir, ses acteurs sont donc face à un dilemme assez sérieux : comment réformer sans se suicider ?