Libye : les deux barrages de Derna étaient fissurés
Six jours après le passage d’une crue de l’ampleur d’un tsunami dans la ville de Derna, les causes de la catastrophes s’éclaircissent un peu plus. Les deux barrages érigés sur l’oued en amont de la ville qui ont rompu dans la nuit de dimanche à lundi, présentaient des fissures découvertes dès 1998.
Les deux barrages qui ont rompu à Derna, provoquant des inondations meurtrières dans l’est de la Libye, présentaient dès 1998 des fissures qui n’ont jamais été réparées, selon plusieurs rapports et études.
Sous la pression de pluies torrentielles, le premier barrage, celui d’Abou Mansour d’une capacité de 22,5 millions de mètres cubes situé à 13 km de la ville, cède alors, libérant des flots d’eaux qui ont foudroyé le deuxième, Al-Bilad d’une capacité de 1,5 million de mètres cubes, situé à seulement un kilomètre de la cité côtière.
Sa proximité fait qu’il existait très peu de chance que l’inondation se dissipe avant d’atteindre la ville. Derna a donc reçu la pleine force du torrent.
Les deux barrages avaient été construits dans les années 1970 par une entreprise yougoslave « pas pour collecter de l’eau mais pour protéger Derna des inondations », selon le procureur général libyen al-Seddik al-Sour qui a annoncé dans la nuit de vendredi à samedi avoir ouvert une enquête sur les circonstances du drame.
Avant la construction des deux barrages, Derna a en effet été frappée par une série d’inondations importantes causées par des crues de l’oued, notamment en 1941, 1959 et 1968. Selon le procureur, la direction des barrages en Libye avait déjà signalé des fissures sur les deux ouvrages dès 1998.
Deux ans plus tard, les autorités ont chargé un bureau d’études italien d’évaluer les dégâts sur les deux barrages. Le cabinet confirme les fissures et recommande même la construction d’un troisième barrage pour protéger la ville, selon al-Seddik al-Sour.
En 2007, le régime de Mouammar Kadhafi confie à une compagnie turque les travaux de réparation. Faute de paiement, la société n’entame les travaux qu’en octobre 2010, avant de les suspendre moins de cinq mois plus tard, dans la foulée de la révolution de 2011 qui a renversé le dictateur.
Depuis, un budget est alloué chaque année à la réparation des deux barrages, mais aucun des gouvernements successifs n’a entrepris les travaux.
Dans un rapport en 2021, le bureau d’audit libyen, l’équivalent d’une Cour des comptes, pointe des « tergiversations » du ministère concerné dans la reprise des travaux dans les deux ouvrages.
Dans une étude en novembre 2022, l’ingénieur et universitaire libyen Abdel-Wanis Ashour met en garde contre une « catastrophe » menaçant Derna si les autorités ne procèdent pas à l’entretien des deux barrages. Malgré cet avertissement, aucuns travaux n’ont été menés, bien que la Libye, qui dispose des réserves pétrolières les plus abondantes d’Afrique, ne manque pas de moyens.
Le patron de l’Organisation météorologique mondiale qui dépend de l’ONU, Petteri Taalas, a estimé cette semaine que « la plupart des victimes auraient pu être évitées », pointant du doigt la désorganisation liée à l’instabilité politique dans le pays.