L’UE ne parvient pas à convaincre les pays latino-américains de condamner la Russie
L’Union européenne (l’UE) aura évité de justesse un échec diplomatique total du sommet avec la Communauté d’États latino-américains et des Caraïbes (Celac), qui s’est tenu lundi et mardi à Bruxelles. Alors que cette réunion devait relancer en grande pompe les relations de ces vieux partenaires, la soixantaine de chefs d’État et de gouvernement des deux régions ont failli se quitter sans déclaration commune, tant ils ont eu du mal à s’accorder sur la manière d’y mentionner la guerre en Ukraine, un sujet clé pour l’UE – qui l’était moins pour les pays latino-américains…
Un compromis été trouvé in extremis pour exprimer « une profonde inquiétude quant à la guerre contre l’Ukraine » dans l’un des 41 paragraphes de la déclaration UE-Celac, qui touche aussi aux ambitions communes en matière de libre-échange ou de lutte contre le changement climatique – sujets qui ne sont pas moins controversés.
« C’est une déclaration ambitieuse », s’est félicité M. Michel précisant qu’un seul pays (le Nicaragua) n’a pas pu donner y son accord à cause d’un paragraphe (l’Ukraine).
Ce sommet se tenait d’ailleurs au moment où l’accord céréalier de la mer Noire a expiré lundi soir, sans être renouvelé, faute d’accord de la Russie. La plupart des pays d’Amérique latine avaient d’ailleurs soutenu les deux résolutions de l’Onu condamnant l’agression russe. Et la région partage une histoire, des valeurs et une même vision du monde avec l’UE. De ce fait, « nous avons besoin les uns des autres, en cette période de changements géopolitiques », a estimé la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.
Ce succès en demi-teinte cache mal les visions divergentes qui persistent de part et d’autre de l’Atlantique. Les Européens rêvaient d’une condamnation plus forte de l’agression russe. Après tout, a rappelé M. Michel, cette guerre « est une tragédie pour le monde, avec des conséquences dévastatrices pour la sécurité alimentaire, les prix de l’énergie et l’économie mondiale ».
Mais Moscou ne manque pas d’alliés en Amérique latine, à commencer donc par le Nicaragua, qui a cherché à affaiblir le langage de la déclaration sur la question de l’Ukraine ou même à la rayer du texte. Cuba et Venezuela, autres soutiens de la Russie, ont aussi agi en ce sens pendant les négociations « très frustrantes », selon les diplomates européens. « Ne vous laissez pas séduire par la propagande russe », déclarait mardi le président lituanien Gitanas Nauseda, sous-entendant que Moscou chuchotait à l’oreille des pays faisant blocage.
Mais de manière générale, d’autres pays latino-américains ont peu goûté l’attention que voulait donner l’UE à l’Ukraine et rejeté la vision eurocentrée de ce conflit. Vu leurs réticences, la participation du président ukrainien Zelensky au sommet avait été annulée. À Bruxelles, le président du Brésil Lula da Silva a dénoncé les sanctions européennes contre Moscou qui « pénalisent les plus vulnérables de la population ».
Rappelant que l’Ukraine n’est pas « le seul théâtre de guerre », Ralph Gonsalves, Premier ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et président de la Celac, a de son côté appelé à ne pas faire de ce sommet « un champ de bataille inutile pour les discours sur cette question, abordée dans d’autres forums plus pertinents ». Sauf que pour l’UE, il était impensable de (trop) faire abstraction de la guerre sur son continent. « Il y a une agression russe en Ukraine. C’est un fait. Et je ne suis pas là pour réécrire l’histoire », avait prévenu le Luxembourgeois Xavier Bettel.
Trouver les mots pour contenter soixante pays a été « difficile », a avoué le président de la Celac. Que ce soit sur l’Ukraine ou sur d’autres sujets sensibles, comme les réparations pour la traite des esclaves.
Mais le sommet reste « historique. La relation entre la Celac et l’UE est plus forte aujourd’hui qu’avant-hier », a assuré M. Gonsalves. Certains progrès concrets ont en effet pu être réalisés. Bloqué depuis 2020 par la Hongrie puis par la Pologne, l’accord dit « post-Cotonou » a finalement pu être adopté mardi. Il fixe le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les relations entre l’UE et les 79 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. La Commission a aussi annoncé la signature de plusieurs accords-cadres. Avec le Chili pour la coopération dans le domaine des matières premières. Avec l’Argentine et l’Uruguay pour l’énergie renouvelable. Ces initiatives font partie du « Global Gateway » européen, un programme d’investissement dans des projets d’infrastructures en dehors de l’UE et qui prévoit 45 milliards d’euros pour l’Amérique latine.
Un sujet clé était surtout le traité de libre-échange avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Chili et Mexique), conclu en 2019 mais pas encore ratifié, en raison des exigences environnementales des Européens. Si aucune percée n’était attendue au sommet, Mme von der Leyen a dit vouloir régler cette question d’ici la fin de l’année.
La Celac et l’UE ont en tout cas convenu de ne plus laisser passer huit ans sans se voir – le dernier sommet datait de 2015. Les dirigeants des deux régions se verront désormais tous les deux ans, ce qui permettra peut-être, à terme, de mieux faire converger leurs intérêts et visions.