Présidentielle en Tunisie : « La Révolution française a pris du temps, la nôtre aussi »
À la veille du premier tour de la présidentielle tunisienne, reportage sur un marché en périphérie de Tunis où clients et vendeurs se montrent partagés entre l’espoir de jours meilleurs et la nostalgie des temps passés.
C’est une périphérie animée de Tunis. Au milieu des immeubles d’un blanc défraîchi, le marché d’Ariana rassemble classes moyennes et populaires. Les voitures allemandes flambant neuves côtoient les utilitaires d’un autre siècle. Au milieu des étals, la politique est sur toutes les bouches en ce samedi 14 septembre un peu particulier entre fin de la campagne officielle pour le premier tour de la présidentielle et lancement de celle des législatives. Parmi les stands de bouchers, de poissonniers et de maraîchers, il suffit qu’un mot soit prononcé un peu fort pour qu’une assemblée se forme et que le débat s’enflamme.
Mais Mohammed « Bombi » reste à l’écart de tout ça. Depuis son stand de menthe, il dit ses espoirs pour l’élection à venir : « Je vais voter car il nous faut un président pour régler nos problèmes. La Révolution française a pris du temps, la nôtre aussi », explique le vieux maraîcher. « La Tunisie n’a pas de pétrole, ni de gaz, c’est un pays pauvre. On travaille avec ce qu’on a pour avancer. »
Hischam est loin de partager son avis. Dans ses haillons, il ne jure que par Bourguiba, le père fondateur de la Tunisie moderne. Il en garde même une photographie dans son portefeuille.
« Je n’irai pas voter. Parmi les 26 candidats, aucun n’a la trempe de Bourguiba », jure l’homme, au milieu d’une tirade enflammée. « Lui, quand il parlait de la Tunisie et de son peuple, il disait ‘mes enfants’. Depuis sa mort, personne n’a été capable de parler comme ça. Je ne voterai que si je me rends compte qu’il y a un Bourguiba parmi eux. »
Avec 26 candidats (ou plutôt 24 après le désistement in extremis de Mohsen Marzouk et Slim Riahi), beaucoup de Tunisiens restent incertains de leur vote pour le scrutin. Si beaucoup estiment que la révolution démocratique initiée par la chute du régime de Ben Ali en 2011 se poursuit, d’autres ont déjà renoncé. À l’instar de Sihem, une étudiante croisée devant une mosquée d’Ariana.
« Je n’ai confiance en personne. Ils cherchent tous une place », déclare-t-elle, déjà désabusée du haut de ses 23 ans. « La Tunisie n’est pas un laboratoire et les Tunisiens ne sont pas des cobayes. Nous avons un pays magnifique, qui mérite mieux. »
Heureusement, d’autres font preuve de davantage d’optimisme vis-à-vis du processus démocratique. Yassa Affani vivait au Canada depuis 18 ans au moment de la révolution tunisienne ; elle a alors décidé de revenir dans son pays pour l’aider à se reconstruire. Cette professeure d’université et chercheuse en cancérologie espère que le prochain président saura restaurer la place de la Tunisie sur la scène internationale.
« Je suis revenue car il y avait beaucoup de potentiel, notamment avec les jeunes. On peut être une plateforme de l’Europe pour l’Afrique », explique-t-elle. « Je suis conscient qu’il y a plein d’inégalités et c’est pour ça qu’on doit faire le bon choix ce week-end. Depuis la révolution, la sécurité s’est améliorée petit à petit. Maintenant, il faut que l’économie suive », espère-t-elle.
Sous la présidence de Beji Caid Essebsi, disparu en juillet, l’état du pays s’est en effet fortement dégradé. La Tunisie est frappée désormais par un chômage de masse (aux alentours de 15 %), une croissance molle et une inflation autour de 6 %. Une économie en berne qui explique la désillusion démocratique qui touche peu à peu le marché d’Ariana et le reste de la Tunisie