Quarante opposants condamnées pour complot contre Kais Saied

Le tribunal de première instance de Tunis a infligé des peines de prison de 13 à 66 ans, à l’issue d’un procès inédit pour complot contre le président Kais Saied où étaient jugés une quarantaine d’accusés, dont des opposants connus, ont annoncé samedi 19 avril les médias et un avocat à l’AFP.
Parmi les condamnés se trouvent des personnalités connues de l’opposition, des avocats, des hommes d’affaires. Certains sont emprisonnés depuis leur arrestation il y a deux ans, d’autres en liberté et une partie en exil à l’étranger.
Les accusés ont été jugés coupables à divers degrés de complot contre la sûreté de l’État et d’adhésion à un groupe terroriste, a précisé un responsable du Parquet antiterroriste qui a donné l’information sans détails aux médias dont la radio Jahwara FM.
Les figures politiques, comme Issam Chebbi, chef du parti social-démocrate Joumhouri, Jawhar Ben Mbarek, co-fondateur de la principale coalition d’opposants Front de Salut National, et l’ex-ministre du Courant démocrate (centriste) Ghazi Chaouachi, ainsi que l’avocat Ridha Belhaj et la militante des droits Chaïma Issa ont tous écopé de 18 ans de prison, a précisé à l’AFP l’avocat Abdessatar Messaoudi.
L’ancien dirigeant du parti Ettakatol (social-démocrate) Khayam Turki a été condamné à 48 ans de réclusion tandis que la peine la plus lourde de 66 ans a été infligée à Kamel Eltaïef, un homme d’affaires influent, a ajouté Me Messaoudi, défenseur de deux accusés.
Vendredi, lors de la dernière audience de ce procès, sans précédent par le nombre d’accusés et les chefs d’inculpation, des avocats de la défense, comme Samia Abbou, ont dénoncé une mascarade quand le juge a terminé la lecture de l’acte d’accusation et mis sa décision en délibéré, sans réquisitoire ni plaidoiries de la défense.
L’audience dont les journalistes internationaux et les diplomates étrangers étaient exclus, contrairement aux deux précédentes, a été particulièrement houleuse et tenue sous haute surveillance policière. Des contacts suspects avec certaines ambassades étaient reprochés à plusieurs accusés.
Pour l’avocate Haifa Chebbi, fille de l’homme politique Ahmed Nejib Chebbi (frère de Issam), l’un des accusés laissés en liberté, c’est un verdict préparé à l’avance, sans surprise.
Je suis triste pour la justice en Tunisie et l’état des libertés, a-t-elle déclaré samedi à l’AFP, sans pouvoir donner d’information sur la peine infligée à son père.
L’un des condamnés par contumace, Kamel Jendoubi, a dénoncé un assassinat judiciaire. C’est un ordre politique exécuté par des juges aux ordres, des procureurs complices et une ministre de la Justice, bras armé d’un autocrate paranoïaque, a fustigé ce militant des droits humains et ancien ministre.
Pour l’analyste Hatem Nafti, un acquittement aurait nié le narratif conspirationniste sur lequel repose le régime depuis 2021. Sur X, il a souligné que ce récit reste accepté par une partie importante de la population en raison, selon lui, de la mise au pas de la plupart des médias et de l’emprisonnement de nombreux journalistes.
Des dizaines de politiciens, avocats, militants des droits et chroniqueurs connus ont été arrêtés à partir du printemps 2023, en vertu d’un décret réprimant la diffusion de fausses nouvelles, à l’interprétation très large.
Le procès dit du complot s’est ouvert le 4 mars avec des accusés en détention censés s’exprimer en visioconférence. Leurs avocats ont exigé, sans l’obtenir, leur présence au tribunal, malgré une grève de la faim observée par six d’entre eux.
La défense a critiqué un dossier vide tandis que l’ONG Human Rights Watch a affirmé que le procès se tenait dans un contexte répressif où le président instrumentalise le système judiciaire pour s’en prendre aux opposants et dissidents.