Syrie : Les erreurs de calcul de la Turquie !
Quand la Turquie s’est préparée à son rôle de « Directeur Régional pour la Recolonisation » en tant que « puissance néo-ottomane» ou « califat islamique moderne », elle a cru que son chemin serait sans encombres étant donné l’absence de stratégie arabe, l’isolement de l’Iran, et l’évolution des conditions régionales ayant rendu Israël incapable de tenir son propre rôle consistant, selon les théories de Shimon Peres, à promouvoir l’idée d’un « Nouveau ou Grand Moyen-Orient » fondée sur « la pensée sioniste » et « l’argent arabe ».
La Turquie a vraiment cru que telle était la meilleure façon de s’assurer le leadership de la région pour commencer, puis celui du monde musulman ensuite… confortée en cela par ses atouts économiques, ses bonnes relations avec les peuples de plusieurs États indépendants d’Asie centrale, son passé Musulman doublé d’un présent qui aurait démontré la capacité des « Islamistes » à tenir les rênes de l’État turc et à neutraliser l’obstacle de son Armée « gardienne de la laïcité » instaurée par Ataturc !
Partant de cette vision, la Turquie ou plutôt le « Parti pour la Justice et le Développement » a lancé sa stratégie du « zéro problème » pensant qu’elle lui permettrait de faire sauter les frontières voisines et de faire oublier les tragédies historiques commises à l’encontre de plusieurs peuples et États de la région, avant de s’envoler vers son nouveau rêve impérial… Elle a donc « pris d’assaut » la cause palestinienne, cause centrale pour les Arabes et Musulmans [cause des peuples et non celle des régimes inféodés à l’Occident et à Israël], puis elle s’est lancée dans le tissage de relations stratégiques avec différents pays de la région en commençant par le plus proche et le plus important : la Syrie ! En effet, dans un ouvrage publié en 2001, Daoud Oglu le théoricien du « zéro problème », avait souligné que la Turquie ne pouvait mener à bien ses projets impérialistes qu’en partant de Syrie, étape préliminaire pour assurer la profondeur stratégique rêvée !
Ici, il faut noter que la Syrie a répondu favorablement à la nouvelle politique d’ouverture de la Turquie et, en toute confiance, a établi un partenariat stratégique avec un État pourtant membre de l’OTAN « cultivant des relations particulières avec Israël », pensant que cette nouvelle approche lui permettrait au minimum de s’assurer de sa neutralité dans son conflit avec l’ennemi sioniste, et éventuellement de lui confier certaines missions dans le cadre de ce même conflit où elle n’afficherait plus son soutien flagrant à Israël.
Mais la Turquie n’a pas été honnête et avait prévu l’exact contraire de ce qu’elle proposait, puisque dès que l’agression occidentale sous ordres et plans US fondés sur la stratégie intelligente du « soft power » s’est abattue sur la Syrie, elle est entrée dans son rôle de « directeur de l’agression sur le terrain » et s’est posée en « donneuse de leçon » usant du langage condescendant des colonisateurs, comme si la Syrie faisait toujours partie de l’Empire ottoman ! Ce fut manifestement sa première erreur de calcul, car la nouvelle lubie néo-ottomane s’est heurtée à la résistance arabe syrienne qui lui a interdit de restaurer un passé révolu faisant fi de sa dignité et de sa souveraineté; ce qui a déclenché la furie et la haine des dirigeants turcs qui se sont publiquement engouffrés dans le travail de sape de l’intérieur syrien.
À ce stade, la Turquie a joué le rôle de conspirateur sur deux niveaux :
- Au niveau politiqueelle a parrainé des groupes d’agents du renseignement de divers pays et des catégories de revanchards haineux ou d’assoiffés du pouvoir avant de les organiser en un soi-disant « Conseil national Syrien » [CNS] qui, en réalité, est à la solde des services et des intérêts étrangers en Syrie. Ce faisant elle a pensé que ce faux conseil serait une alternative aux autorités légitimes syriennes… Deuxième erreur de calcul, car tout comme ce CNS est né pour servir d’instrument de discorde extérieure, il a évolué vers encore plus de discorde intérieure jusqu’à se transformer en un cadavre puant devenu un fardeau pour ses concepteurs, la Turquie en premier !
- Au niveau militaireelle s’est transformée en base de ralliement pour terroristes de toutes nationalités lancés à l’assaut de la Syrie, avant exécution d’une opération militaire internationale dont elle serait le fer de lance et en récolterait les bénéfices après l’avoir transformée en arrière cour de l’empire néo-ottoman ressuscité de ses cendres… Troisième erreur de calcul manifeste depuis qu’une telle opération dite « internationale » s’est révélée impossible et a poussé la Turquie à ne plus concentrer ses efforts que sur de sordides actions terroristes menées sur le sol syrien !
Le parti au pouvoir en Turquie a fini par mettre tous ses espoirs dans le terrorisme international et s’est imaginé que laSyrie allait s’effondrer en quelques semaines ouvrant le chemin de Damas au nouveau sultan ottoman… Quatrième erreur de calcul devant une Syrie dont toutes les composantes étatiques et civiles ont résisté face à la marée terroriste espérée invulnérable, ramenant la Turquie à la dure réalité qu’elle n’a pas daigné anticiper.
En effet, la Turquie s’est imaginée que la défense syrienne et de ses alliés régionaux de « l’Axe de la résistance », pourtant en parfait accord avec un front du refus de pays émergents sur la scène internationale, ne pourraient résister en cas d’une confrontation si bien menée et, qu’en tous cas, elle n’aurait pas à se mouiller… Cinquième erreur de calcul particulièrement dangereuse vu l’évolution du théâtre des opérations au détriment de ses folles ambitions. Nous n’en citerons que les conséquences fondamentales :
- Échec définitif de la Turquie dans sa guerre terroriste contre la Syrie menée conjointement avec le « camp occidental des agresseurs »… D’ailleurs, elle-même est désormais intimement convaincue qu’il lui est impossible de renverser le gouvernement syrien, le peuple syrien étant le seul capable d’en décider.
- Échec des efforts de la Turquie en faveur d’une intervention militaire directe visant à transformer l’essai, maintenant que toutes ses tentatives pour créer des « zones de sécurité », des « zones tampons », des « couloirs humanitaires », ou tout autre prétexte autorisant une ingérence militaire étrangère en Syrie ont lamentablement échoué face à la résistance syrienne, à la fermeté iranienne, et à la constance russe dans leur refus concerté d’un tel dénouement même s’il leur fallait en arriver à une confrontation militaire internationale, alors que la Turquie et ses alliés ne se sont pas préparés à une telle possibilité.
- L’angoisse sérieuse de la Turquie quant au devenir des groupes terroristes qu’elle a accueillis sur son sol et dirigés contre la Syrie sous supervision US ; ce qui doit nous rappeler le phénomène des « Afghans arabes » devenus un problème pour les pays qui les ont poussés à se battre contre l’Union soviétique en Afghanistan où, une fois les troupes parties, ils se sont transformés en « combattants chômeurs » menaçant de tous les dangers ; situation pas très éloignée de celle que risque de rencontrer la Turquie aujourd’hui ! C’est pour cette raison qu’elle s’est hâtée de lancer ses appels de détresse aux USA pour l’aider à prévenir ce probable fléau… C’est pour cette même raison que se sont réunies dernièrement les forces de sécurité militaire des deux pays, contrairement à ce qui a été déclaré par les médias parlant de la mise au point des derniers préparatifs pour uneintervention militaire en Syrie ; alors qu’il s’agissait de défendre la Turquie craignant pour sa propre sécurité en cas d’une réplique lancée par la citadelle syrienne qui a résisté à sa violente agression par terroristes interposés.
- L’angoisse non moins sérieuse de la Turquie devant certains dossiers qui sont sur le point d’exploseralors qu’elle a tenté de les dissimuler par sa prétendue politique du « zéro problème » transformée, en pratique, en politique de « zéro ami » ; le plus dangereux dans cette affaire étant l’hostilité des peuples dépassant de loin celle des des gouvernements. Ainsi, quatre dossiers principaux menacent l’essence même de l’État turc et hantent ses dirigeants :
- Le dossier sectaire: la Turquie a cru qu’en allumant le feu sectaire en Syrie elle s’épargnerait l’incendie. Elle a oublié que sa population était idéologiquement et religieusement aussi hétérogène et que les mêmes flammes pouvaient la brûler vu sa proximité géographique ; ce qu’elle semble avoir maintenant compris…
- Le dossier nationaliste: la Turquie a pensé qu’elle pouvait éternellement contenir le mouvement nationaliste kurde… Autre erreur de calcul, car ce mouvement est devenu tellement douloureux qu’il l’oblige à reconsidérer sérieusement l’ensemble de sa politique à son égard.
- Le dossierpolitique : la Turquie s’est imaginée qu’en s’appuyant sur l’OTAN elle pourrait négliger les positions respectives des pays de la région et leur imposer sa propre vision conçue pour ses seuls intérêts, mais voilà qu’elle se trouve de plus en plus politiquement isolée, les pays sur l’amitié desquels elle espérait pouvoir compter dans son agression contre la Syrie s’étant éloignés par crainte de son ambition démesurée, et les pays qu’elle a traité en ennemis au point de croire qu’elle pouvait leur dicter ses ordres ou les écraser s’étant révélés capables de lui résister avec une force qui l’a déroutée… et l’a laissée dans la situation inattendue de « zéro ami » !
- Le dossiersécuritaire : la Turquie tente vainement de nier le recul de la sécurité sur son territoire, devenu extrêmement pénible pour ses commerçants et plus particulièrement pour ceux qui travaillent dans le secteurdu tourisme et qui auraient perdu plus de 50% de leurs revenus réguliers au cours des six derniers mois !
Tout ce qui précède montre que la Turquie est à la traîne derrière les USA qu’elle supplie de la sortir du bourbier dans lequel elle s’est enfoncée ! Elle a non seulement échoué dans son agression contre la Syrie et a dévoilé la fausseté de sa politique et de toutes ses déclarations, mais elle n’est même plus sûre de sauver les cartes qu’elle pense encore détenir, maintenant que les manifestations à Antioche, les revendications arméniennes, les attaques kurdes, les opposants intérieurs de tous bords à la politique du gouvernement actuel, et le refus de coopération doublé de la méfiance des pays de la région sont devenus autant de facteurs réunis pour générer des vents contraires aux projets impérialistes d’Erdogan et de son ministre des Affaires étrangère rappelant, en la circonstance, l’anecdote de l’arroseur arrosé !
Dr Amin Hoteit