Irak : Manifestations contre la corruption et demander de services et la création d’emplois
Deux manifestants ont été tués et 200 personnes blessées mardi en Irak lors de manifestations dispersées par la force à Bagdad et dans le sud du pays, la première contestation sociale d’envergure depuis la mise en place du gouvernement il y a près d’un an.
A Bagdad, où plus d’un millier de manifestants s’étaient réunis pour réclamer du travail et des services publics fonctionnels, les forces de l’ordre ont tiré à de très nombreuses reprises à balles réelles, selon des journalistes .
Pendant plusieurs heures, le centre de la capitale irakienne a résonné au bruit des salves, tandis qu’une colonne de fumée noire s’élevait de l’emblématique place Tahrir, rendez-vous traditionnel des protestataires à Bagdad.
Des manifestations ont été également dispersées mardi à Nassiriya, dans la province de Zi Qar, et à Najaf, au sud de Bagdad, ont rapporté des correspondants.
«Un manifestant a été tué et deux autres blessés, dont un grièvement, tandis que 25 membres des forces de l’ordre ont été blessés», a indiqué le directeur de la Santé de Zi Qar, Abdel Hussein al-Jaberi.
A Bagdad, l’après-midi a débuté avec un premier rassemblement de plus d’un millier de manifestants qui, sous une nuée de drapeaux irakiens, ont scandé: «Les voleurs nous ont pillés», en référence aux dirigeants de l’Irak, le douzième pays le plus corrompu au monde selon Transparency International.
Pour Abbas Fadhel, manifestant de 30 ans, «le problème, c’est que le Parlement est un repaire de gangs qui se partagent tout entre eux».
Ces «corrompus» n’ont apporté que «des guerres, du sang, des combats et des pillages», renchérit Moustapha Khaled, manifestant de 34 ans, qui réclame «des rues asphaltées, une ville où tout marche, la reconstruction, du travail, des services publics…».
Face aux manifestants, les forces anti-émeute ont d’abord chargé à coups de grenades lacrymogène et de balles en caoutchouc. Puis, postées dans une haute tour désaffectée qui surplombe la place Tahrir et le pont al-Joumhouriya, qui mène à la Zone verte où siègent l’ambassade américaine et le Parlement, elles ont tiré à balles réelles.
Le ministère de la Santé a fait état dans un communiqué d’«un civil tué et 200 blessés, dont 160 civils et 40 membres des forces de l’ordre» à Bagdad.
La plupart des blessés ont été admis à l’hôpital parce qu’ils suffoquaient du fait du gaz lacrymogène, tandis que certains souffraient de blessures de balles en caoutchouc, ont expliqué des sources médicales à l’AFP.
Les manifestations contre le pouvoir ne sont pas rares en Irak mais depuis l’arrivée aux affaires du gouvernement d’Adel Abdel Mahdi le 25 octobre 2018, aucune d’apparence spontanée comme celle-ci n’avait connu une telle ampleur.
Traditionnellement, les cortèges dénonçant le pouvoir prennent la direction de la Zone verte, quartier ultrabunkerisé car abritant notamment le siège du gouvernement et l’ambassade américaine. Mais il y étaient interdits d’accès par des murs de béton et barrages militaires.
En juin toutefois, la Zone verte a été ouverte, et une entrée des manifestants dans ce secteur pourrait paralyser les institutions.
Dans un pays ravagé par les guerres, et en pénurie chronique d’électricité et d’eau potable depuis des années, les manifestations contre les dirigeants sont fréquents, mais habituellement ils se font à l’appel de leaders politiques ou religieux.
La mobilisation de mardi a rassemblé toutes sortes de déçus du gouvernement d’Adel Abdel Mahdi, des diplômés chômeurs aux partisans d’un général mis à l’écart il y a quelques jours. Aucune organisation, aucun parti politique ou leader religieux ne s’est déclaré à l’origine des appels à manifester qui ont récemment fleuri sur les réseaux sociaux.
Selon les instances officielles, la corruption a englouti depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003 au moins 410 milliards d’euros, soit quatre fois le budget de l’Etat et plus de deux fois le PIB de l’Irak.
Outre les slogans réclamant du travail pour les jeunes –dont le taux de chômage de 25% est deux fois supérieur à la moyenne nationale– et des services publics, certains manifestants brandissaient des affiches de soutien au général Abdel Wahab al-Saadi.
Le patron du contre-terrorisme, des unités d’élite créées et armées par les Américains, a été mis à l’écart la semaine dernière par le Premier ministre, provoquant une levée de boucliers contre une décision vue par des observateurs comme favorable aux factions pro-Iran en Irak.
De violentes manifestations dans la ville portuaire et pétrolière de Bassora (sud) l’été 2018 avaient coûté au prédécesseur de M. Abdel Mahdi sa reconduction au poste de Premier ministre.